Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le ministère est faible, mais tout autre ministère est impossible à l’heure qu’il est. Peel se conduit noblement. Ils ne comprennent rien ni les uns ni les autres au mouvement social qui agite aujourd’hui l’Europe. Ils s’imaginent tous qu’ils sont dans l’arche, et du haut du mont Ararat ils contemplent le déluge, les uns avec une satisfaction pharisaïque : « Je te remercie, mon Dieu, de ce que je ne ressemble pas à ces gens-là ; » les autres avec le sentiment de l’insulaire à courte vue qui se félicite d’être hors du péril (with the shorisighied self-gratulation of the islander). » Ainsi Bunsen est seul à Londres au milieu d’un monde hostile à sa pensée ; il n’en persiste pas moins à soutenir que l’empire d’Allemagne doit se faire et qu’il se fera, quelles que puissent être les fautes du parlement de Francfort.

Tandis que les idées de Bunsen sur l’entreprise de Francfort se dessinent et s’affermissent avec une énergie croissante, quelles sont au sujet de ce grave problème les vues de Frédéric-Guillaume IV ? Il est impossible qu’il ne se soit pas tracé un plan de campagne. Ne disait-il pas le 18 mars 1848 à l’émeute assiégeant son palais : Je serai le roi allemand ? et n’est-ce pas en faisant, cette promesse qu’il arrêtait la marée montante ? Il y avait là un engagement un peu équivoque peut-être, du moins compris différemment par les deux parties contractantes, mais qui ne permettait pas le statu quo. Le roi était obligé de faire quelque chose en faveur de cette unité dont l’Allemagne entière était comme affolée ; on verrait alors si ces mots, je serai le roi allemand, signifiaient la même chose pour la nation et pour le prince. Les méditations du roi de Prusse l’avaient conduit à un système fort singulier : religieusement dévoué à la tradition, Frédéric-Guillaume se préoccupait surtout du rôle de l’Autriche au moment où des millions de voix, du nord au sud et de l’est à l’ouest des contrées germaniques, le pressaient de songer d’abord au rôle de la Prusse, c’est-à-dire de prendre résolument en main la direction de l’Allemagne. Il voulait bien accepter cette direction, car il était passionné, lui aussi, pour l’unité des peuples allemands ; il n’admettait pas cependant que ce fût au détriment de l’Autriche. C’est pour l’Autriche que l’empire devait être reconstitué, non pas un empire moderne et révolutionnaire, l’empire des vieux âges, le saint-empire romain, ayant à sa droite la royauté allemande. L’Autriche, avec ses populations diverses qui s’étendaient du Tessin au Danube, de l’Italie à l’Europe orientale, était admirablement placée pour faire revivre l’antique majesté du saint-empire ; la Prusse, avec son peuple compacte, son esprit militaire, ses institutions robustes, sa discipline inflexible, était naturellement désignée pour les fonctions de la royauté allemande. Auprès