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proprement dit, jadis séparés l’un de l’autre par l’agriculture et aujourd’hui en train d’être de nouveau réunis par elle, le mode même de culture et la densité de la population sont les seules distinctions qu’on puisse établir avec quelque précision. Dans la steppe, la population est rare, la culture encore nomade. Les champs n’occupent que la moindre partie du sol, au plus 25 pour 100 de l’étendue totale ; le reste, la steppe inculte, forme d’immenses jachères qui servent de pâturages. La terre est cultivée pendant plusieurs années de suite, puis abandonnée pour une plus longue période à sa végétation naturelle, pendant que le laboureur va chercher dans ces vastes espaces des champs d’une fertilité vierge. Cette culture de translation et comme nomade ne peut persister qu’avec une faible population. Il ne faut que 22 ou 23 habitans par kilomètre carré pour la rendre à peu près impossible par l’insuffisance des jachères et lui faire céder la place à la culture triennale, le mode habituel d’exploitation du tchernoziom. Ainsi avec le progrès de la population s’accomplit graduellement l’annexion des steppes à la terre noire. Ces conquêtes sur la nature sauvage s’opèrent sans efforts, sans souffrances du premier occupant, sans martyrs de la civilisation. A vrai dire, il n’y a pas même de défrichement. La steppe à sol fertile, couvrant près de 600,000 kilomètres carrés, est encore presque aussi vaste que toute la zone du tchernoziom actuellement en culture régulière, dans laquelle elle doit s’absorber. Cette riche contrée est ainsi appelée à doubler d’étendue. Dans un avenir plus ou moins prochain, ces steppes et la terre noire ne formeront qu’une seule région agricole, comme un seul et même champ de blé, à la fois peut-être le plus fertile et le plus vaste du globe, occupant en Europe seulement de 1 million à 1,100,000 kilomètres carrés d’un seul tenant, environ deux fois la surface totale de la France. La prairie d’Amérique, qui passe par des phases à peu près analogues, sera probablement la seule contrée à lui pouvoir être comparée.

Au sud et à l’est de la région du tchernoziom steppien viennent les steppes infertiles, les steppes éternelles, qui semblent à jamais impropres à l’agriculture. Là toute couche végétale disparaît pour ne laisser voir que la pierre, le sable ou un sol imprégné de sel plus défavorable encore à la culture. Cette région inféconde est formée de la vaste dépression ouralo-caspienne, fond de mer récemment desséché, où l’eau en s’évaporant a laissé le sel, et qui est encore çà et là couverte de petits lacs salins, comme les grandes surfaces de la Caspienne et de l’Aral, débris de l’ancienne méditerranée aujourd’hui disparue. Ainsi que le Sahara, cette région est un vrai désert qui n’offre à l’homme que de rares oasis. Occupant