Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/762

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A vrai dire, les herbes proprement dites, les graminées, sont loin de former à elles seules toute la flore steppienne. Ce ne sont point elles qui lui donnent cette vigueur d’aspect, ce sont des plantes plus hautes, qui les recouvrent, ombellifères, dipsacées, malvacées, légumineuses, labiées, composées, dont au printemps les tiges fleuries émaillent la steppe de mille couleurs. Comme dans les bois du nord, dans ces frêles forêts les espèces sont peu variées ; ce sont des plantes sociales dont chacune couvre de grands espaces, la plupart espèces annuelles, les autres ayant de la peine à supporter un climat qui unit les hivers de la Baltique aux étés de la Méditerranée. En dépit des idées reçues, la steppe n’est point absolument dépourvue de plantes ligneuses. Il s’y rencontre quelques arbustes, quelques arbres même, mais petits et rabougris, entre autres le poirier sauvage, dont les ballades cosaques ont fait le symbole de l’amour méconnu. Dans le court printemps de ces régions, la végétation des steppes, comme celle du nord de la Russie, se développe avec une prodigieuse rapidité. Elle prend dans les pluies printanières de quoi résister aux chaleurs intenses de l’été ; mais, si les pluies ne viennent à temps, elle succombe à la sécheresse. Dans certains terrains ou dans certaines années, toute cette brillante végétation ne dure que quelques mois ; tout est flétri en juillet, un soleil sans ombre a tout brûlé, et les hautes plantes qui en faisaient un océan de verdure hérissent la plaine de leurs tiges dénudées ; les steppes sont devenues des pampas desséchés. Sous cette forme même, leur ancienne parure n’est point perdue pour l’homme ; ces plantes, brûlées par le soleil dans leur pleine maturité, fournissent aux troupeaux des steppes comme un foin naturel qui les nourrit pendant le reste de la saison. Chaque année, toute la végétation disparaît à l’hiver ; ce qui a résisté au soleil périt sous la neige.

Cette steppe vierge à la libre végétation, la steppe de l’histoire et des poètes, se rétrécit chaque jour pour bientôt disparaître devant les envahissemens. de l’agriculture. L’Ukraine des cosaques et de Mazeppa avec toutes ses légendes a déjà perdu son ancienne et sauvage beauté. La. charrue s’en est emparée ; les plaines désertes où se perdait l’armée de Charles XII sont déjà en culture régulière. La steppe de Gogol, comme en Amérique la prairie de Cooper, ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Entamée de tous côtés. par le laboureur, elle est destinée à être peu à peu. conquise par lui et annexée à la région voisine du tchernoziom. Entre les deux zones, il est difficile de tracer une limite exacte, l’une augmentant toujours aux dépens de l’autre, pour finir par l’absorber tout à fait. Dans les deux, le sol est le même et d’une égale fertilité. C’est à