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par s’effacer ; il ne reste que la terre cultivée, un champ sans limite, s’étendant à perte de vue sur une longueur de plusieurs centaines de lieues, comme une Beauce gigantesque de 600,000 à 700,000 kilomètres carrés.

Non contente de suppléer à l’insuffisance en grains de la moitié septentrionale de la Russie, cette région est, avec le bassin moyen du Mississipi, un de ces grands magasins de blé qui permettent au monde moderne de défier toute famine. Médiocrement pourvue d’humidité, médiocrement cultivée, avec des procédés d’agriculture souvent encore primitifs, la terre noire est capable de nourrir l’Europe et la Russie. La fécondité de son sol encore neuf semble inépuisable, et jusqu’à ces dernières années ses propriétaires pouvaient croire qu’elle n’aurait jamais que faire de fumier et d’engrais d’aucune sorte. Une telle fertilité en a fait la partie la plus habitée de la Russie. Sa population totale s’élève à 25 millions d’âmes, elle va en croissant avec les débouchés que lui ouvrent les chemins de fer et à mesure des conquêtes de l’agriculture sur les steppes voisines. Grâce au tchernoziom, on peut dire que le centre de gravité de l’empire tend de plus en plus à se déplacer du nord vers le sud.


III

Au-dessous du tchernoziom, entre les mers du midi et lui, viennent les steppes proprement dites, car les champs de la terre noire sont souvent en Russie même désignés de ce nom, qu’on finit ainsi par appliquer à toute plaine dénuée d’arbres. C’est dans les steppes que l’aplatissement du sol, l’absence de toute végétation arborescente et la sécheresse de l’été atteignent leur maximum. Inclinées vers la Mer-Noire, la mer d’Azof et la Caspienne, occupant les bassins inférieurs du Dnieper et du Don, du Volga et de l’Oural, ces steppes sont les parties les plus basses de ces basses plaines de Russie. Encore abandonnée à elle-même ou à demi sauvage, peu ou point cultivée, la steppe est une plaine déserte sans arbres, sans ombre, sans eau. Sur des surfaces à perte de vue, on chercherait souvent en vain pendant des journées entières un arbuste, une maison ; mais pour être dégarnie de forêts, la steppe n’est point toujours le désert stérile que l’Occident s’est figuré sous ce nom. Dans ces vastes espaces plus ou moins inhabités, qui occupent encore en Europe de 900,000 à 1 million de kilomètres carrés, se confondent sous la même désignation des terrains de qualité fort différente, et qui, avec une certaine analogie d’aspects extérieurs, sont appelés