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les uns immenses vasques comme le Ladoga, vraies petites mers intérieures, les autres chétifs étangs comme les 1,145 lacs du seul gouvernement d’Archangel.

Dans toute cette zone, l’hiver, durant plus de la moitié de l’année, laisse peu de temps, à la végétation et à la culture. Le sol reste souvent plus de deux cents jours sous la neige ; les rivières ne dégèlent qu’en mai ou à la fin d’avril. Sans l’actif printemps du nord, qui fait pour ainsi dire éclater la végétation en une soudaine explosion, tout travail de la terre serait inutile. L’orge, puis le seigle, sont les seules céréales de ces ingrates contrées. La culture du froment est rare et peu productive ; le lin est la seule plante que ce ciel rigoureux laisse vraiment prospérer. La terre pourvoit mal à la nourriture de ses habitans. La population a beau être disséminée sur de vastes espaces, elle a beau ne pas dépasser dix habitans par kilomètre carré et tomber souvent fort au-dessous de ce faible chiffre, elle n’obtient point du sol qu’elle cultive un pain suffisant ; elle est obligée de demander à une foule de petites industries la vie que lui refuse l’agriculture. Rare et diffuse comme elle est, la population de ces pauvres contrées ne croît que d’une manière insensible. De toute cette région, qui occupe plus de la moitié de son territoire européen, la Russie ne peut espérer quelque augmentation du nombre de ses habitans, de sa richesse et de sa force que grâce à l’industrie, comme aux environs de Moscou ou dans l’Oural.

Plus féconde en promesses d’avenir, au moins dans plusieurs de ses régions, est la zone déboisée, la plus originale, la moins européenne des deux. Moins vaste que la zone des forêts, elle est sans cesse agrandie par d’imprudens déboisemens. Occupant tout le sud de la Russie, elle va, en s’élargissant de l’ouest à l’est à partir des anciennes provinces polonaises, se relevant fortement vers le nord sur les méridiens du Volga et de l’Oural, au-delà duquel elle se prolonge dans les solitudes de l’Asie. Cette zone est plus plate encore que celle des forêts ; sur une surface plusieurs fois grande comme la France, elle n’offre pas une colline de 100 mètres de haut. Les Karpathes y envoient une ramification granitique qui redresse le cours des fleuves, et parfois, comme le Dnieper, les embarrasse de cataractes sans presque accidenter le pays. Tantôt la terre s’étend en plaines ondulées, tantôt elle présente l’horizontalité parfaite de la mer au repos. Parfois elle s’abaisse lentement vers la Mer-Noire ou la Caspienne ; parfois elle s’affaisse brusquement, formant comme des plateaux superposés de différent niveau, des étages de hauteur inégale, mais également plats. Rien ne limite ces surfaces à perte de vue que l’horizon, qui se confond avec elles. Aucune proéminence, si ce n’est dans certaines contrées de petites