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les « intransigens, » jusqu’à ce qu’il se soit réveillé devant les effroyables scènes d’Alcoy. Alors il a disparu, et il n’avait certes rien de mieux à faire. Que pouvait-il pour le rétablissement de l’ordre dont il parlait toujours lorsqu’il se donnait pour collègue au pouvoir un ministre qui allait dire naïvement devant les cortès que jamais il ne donnerait un ordre de répression contre ses « coreligionnaires politiques ? » Il appelait cela des « coreligionnaires politiques ! » Il est bien vrai qu’insurgés et amis du gouvernement sont tellement confondus qu’on ne voit pas trop la différence. Quant à la répression, il est entendu qu’on n’en a parlé que pour la forme. M. Pi y Margall est tombé sous le poids des massacres d’Alcoy ; il a été remplacé par un avocat républicain, ancien président de l’assemblée, M. Salmeron. Jusqu’ici, depuis que la république existe, voilà donc le troisième chef du pouvoir exécutif ! M. Salmeron a eu du moins le mérite de montrer aussitôt une certaine énergie de parole et d’attitude ; il a même trouvé l’appui d’un vieux parlementaire, M. Rios Rosas, un des rares conservateurs égarés dans les cortès, qui s’est levé pour faire un énergique appel à toutes les forces libérales de l’Espagne. Cette manifestation de M. Rios Rosas n’est pas d’ailleurs sans gravité ; c’est la réapparition du parti conservateur et libéral au milieu de toutes ces crises ; mais, si M. Salmeron s’allie à ce parti, les républicains de la gauche de l’assemblée menacent de faire cause commune avec les insurgés ; si le chef du pouvoir exécutif reste avec la gauche, il recommence l’histoire de M. Pi y Margall, et ce n’est pas là certes l’unique difficulté de sa situation.

Dès la formation du nouveau gouvernement, M. Salmeron a fait adopter une levée de 80,000 hommes de la réserve. Il a réuni des généraux de l’ancienne armée pour voir ce qu’il y avait à faire, et quelques-uns de ces généraux, Makenna, Turon, ont accepté des commandemens. Le général Makenna va, dit-on, en Catalogne, Turon à Valence, Pavia bombarde en ce moment Séville. On est donc décidé à l’action, on se met à l’œuvre. Seulement avec quoi ces généraux pourront-ils agir ? La garde civile elle-même, fatiguée du rôle qu’on lui fait jouer, est déjà fort ébranlée. Attendra-t-on la levée nouvelle ? En supposant que ces jeunes gens se rendent à l’appel, ce qui est fort douteux, comment les équipera-t-on ? comment les fera-t-on vivre ? où retrouvera-t-on des officiers pour les conduire, et par quels moyens rétablira-t-on la discipline ? Il faut songer qu’on se trouve avec un trésor vide, avec une armée absolument détruite, au milieu d’un pays où souffle le plus violent esprit d’insubordination. Est-ce avec cela qu’on va battre les insurgés du midi pour en venir ensuite à battre les carlistes ? Qu’on se souvienne qu’en 1833, avec une armée existant déjà conduite par des chefs qui avaient fait la guerre, par tout un groupe de jeunes officiers brillans et braves, il a fallu sept ans ! De deux choses l’une, ou cette levée qu’on décrète ne fera que livrer de nouveaux contingens à l’anarchie, ou bien les géné-