Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/738

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de communication, des principaux passages de la frontière, et même d’une partie des côtes, de sorte qu’ils peuvent se ravitailler, faire arriver des armes et des munitions, s’organiser en toute liberté. Rien ne les gêne, ils ont les chemins libres. L’autre jour, un des chefs carlistes les plus audacieux, Saballs, et le frère du prétendant, le prince Alphonse, ont attaqué à peu de distance de Barcelone la petite ville d’Igualada, qu’ils ont prise après trente heures de combat et qu’ils ont quittée après avoir détruit toutes les défenses et levé des contributions. Du côté de l’Èbre, des bandes ont passé le fleuve et se sont montrées dans la direction de Logrono, où réside le vieux duc de la Victoire, qui est peut-être tout près de n’être plus en sûreté. Rien ne prouve mieux du reste les progrès du carlisme que l’arrivée récente de don Carlos lui-même, qui s’était tenu depuis l’année dernière en dehors de la lutte, et qui a signalé son entrée en Espagne par un acte d’autorité assez singulier, par la révocation d’un des plus terribles chefs de bande, du curé Santa-Cruz, réduit à s’en aller aujourd’hui à Rome, se faire absoudre de ses exploits auprès du saint-père. Évidemment les bandes carlistes ont pris depuis quelque temps une consistance assez menaçante ; elles ont une organisation presque régulière, des chefs qui ne manquent pas d’une certaine habileté, de l’artillerie, des moyens d’approvisionnement, et, chose singulière, elles en sont venues à représenter pour le moment ce qui ressemble le plus à une armée au-delà des Pyrénées. Par lui-même, le carlisme ne serait pas sans doute menaçant. La cause du prétendant est peu populaire. Les bandes de don Carlos ont pu gagner en solidité, en nombre, en habitude de la guerre, elles n’ont pas beaucoup étendu leurs incursions, elles ne recrutent guère d’adhérens civils, et par le fait elles semblent songer à s’établir dans leurs positions du nord plutôt qu’à tenter la conquête du reste de l’Espagne ; mais il est bien clair que si la situation de la péninsule tarde à changer, si d’autres combinaisons ne se produisent pas, les carlistes ont tout à gagner ; ils auront non pas la force qui vient de leur cause, mais la force qu’ils tiendront de l’anarchie déchaînée par les démagogues de Malaga et de Carthagène, de l’impuissance qui règne à Madrid, de l’inaction où semblent rester les libéraux monarchiques. Voilà le danger. Si on n’y prend garde, tout aurait concouru au succès d’un absolutisme qui serait assurément une épreuve nouvelle pour l’Espagne, et dont le voisinage pourrait n’être pas sans inconvéniens pour nous-mêmes.

Que peut le gouvernement de Madrid, et que fait-il contre tous ces périls éclatant à la fois au nord et au sud ? Pendant que tout est à feu et à sang en Espagne, il y a une assemblée qui se distrait à faire des discours, à préparer une constitution fédérale, à jouer aux combinaisons parlementaires, aux coalitions, aux votes de confiance ou de défiance. Le premier chef du pouvoir exécutif élu par les cortès, M. Pi y Margall, a passé sa courte et triste existence à faire des ministères, à traiter avec