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de soumettre le ministère à un interrogatoire ? Une fois dans cette voie, aurait-il cru indispensable de demander si le prince Napoléon, qui, à ce qu’il paraît, a eu un moment la velléité de réclamer son grade de général de division, perdu avec d’autres choses en 1870, ne venait pas par hasard se mettre à la tête de cette armée d’Afrique arrivée sournoisement à Versailles ? Pourquoi n’aurait-il pas fait cette question, puisqu’il a pu demander si on entendait revenir sur le vote qui a prononcé la déchéance de l’empire ? Voilà où l’on va. C’était, on l’avouera, faire la partie belle à M. le duc de Broglie, qui ne s’est même pas donné la peine de répondre, et qui à son tour a porté la guerre au camp de ses adversaires en demandant à ceux qui attaquent le gouvernement comme issu d’une coalition si l’opposition elle-même n’est pas une coalition. Plaidoyer et réplique. Sait-on le résultat ? La veille encore, on prétendait que le gouvernement n’avait qu’une majorité de 14 voix, on lui mettait ironiquement sous les yeux sa modeste origine, résumée dans un chiffre : l’interpellation de M. Jules Favre lui a procuré 125 voix de majorité. Le dénoûment était prévu, et c’est ainsi que depuis deux mois, par des démarches mal calculées, par des excès de langage, par des impatiences, par une mauvaise humeur stérile, l’opposition n’a réussi qu’à fournir au gouvernement des occasions de faciles victoires, à grossir le nombre de ceux qui votent pour lui, en lui permettant d’aborder la prorogation avec une majorité suffisante.

La question n’est plus de chercher comment est né ce gouvernement, ni même ce que pensent ou ce que disent des journaux nécessairement intéressés à interpréter les événemens au profit de leurs espérances ou de leurs passions. Le gouvernement existe ; il a déjà une durée de deux mois. L’unique et sérieuse question est de savoir ce qu’il se propose de faire de ce pouvoir qu’il a conquis par une majorité victorieuse, s’il suivra cette majorité dans ses caprices, dans ses fantaisies de parti, dans ses velléités quelquefois intempérantes, ou s’il la dirigera avec une certaine fermeté, s’il puisera dans une étude attentive des intérêts, des instincts, de la situation morale de la France, l’inspiration de la vraie politique du temps où nous vivons. Maintenir avec toutes les puissances étrangères des rapports de sincère amitié, décourager la sédition et les manifestations bruyantes par la vigilante application des lois, garantir l’inviolabilité de la souveraineté nationale, « suivre, selon la parole récente du maréchal de Mac-Mahon, la sage ligne de conduite que l’assemblée elle-même, oubliant ses dissentimens intérieurs pour ne songer qu’aux intérêts généraux de la patrie, a consacrée plus d’une fois par l’unanimité de ses suffrages, » c’est là certes le plus rassurant et le plus séduisant des programmes. Ce n’est pas le pays qui empêchera le gouvernement de suivre ce programme. Ce n’est pas non plus l’opposition systématique et implacable qui le menace sérieusement dans son œuvre ou dans son existence ; cette opposition n’a fait jusqu’ici que le fortifier.