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mais pas longtemps les catholiques — tinrent leur camp sous Poltava. — Hors d’ici, chiens d’esclaves, a dit le tsar de Moscou ; — ils se sont éparpillés comme une gerbe.

« Où est-il maintenant, ce Mazeppa, — l’ennemi, l’excommunié ? — Où le sort l’a-t-il conduit, ce loup, — avec les louveteaux, ses heiduques ? — Des gens disent qu’à Bender — il est arrivé un malheur, — grande vérité ! à Mazeppa. — Grande vérité que sa gloire — s’est perdue en pure perte, — lorsque la terre de Bender — a reçu son corps musulman. »


Il faut remarquer, au point de vue de l’ascendant progressif de la Grande-Russie sur les autres nationalités russes, au profit de l’unité, ce double anathème qui vient frapper les derniers représentans du particularisme méridional. Les dernières tentatives d’indépendance sont flétries comme des trahisons : Nekrassof est maudit dans la terre du Don, Mazeppa excommunié dans les chansons de l’Oukraine.

La lutte entre la Russie ancienne et la Russie nouvelle ne se poursuivait pas seulement sur la Place-Rouge de Moscou, dans les steppes du Volga, du Don et du Dnieper : elle se continuait au sein même de la famille impériale. Le régénérateur trouvait dans les siens les plus dangereux ennemis de ses créations. Sa femme Eudoxie, son beau-frère Abraham Lapoukhine, le tsarévitch Alexis, étaient à la cour même le noyau d’une coterie réactionnaire. Aussi quand Pierre le Grand revint d’Europe, son premier mot fut qu’il ne voulait plus revoir une épouse détestée. Elle fut répudiée et envoyée dans un couvent de Rostof. Ivan le Terrible n’agissait pas autrement. Entre les chants du XVIe siècle qui célèbrent la retraite de la tsarine Anna Koltovskoï et ceux du XVIIIe sur la tsarine Eudoxie, aucune différence dans l’inspiration.


« Mon époux inclément m’injurie, — il m’ordonne d’être religieuse : — Je ne t’aime plus : coupe ta chevelure ; — je te hais, prends la soutane ; — pour tes cheveux coupés, je te donnerai cent roubles ; — pour ta soutane, je t’en donnerai mille. — Je te bâtirai une cellule, — toute neuve et toute petite. — On y percera trois fenêtres, — la première sur l’église de Dieu, — la seconde sur la campagne rase, — la troisième sur le vert jardin ; — sur le vert jardin, un bel escalier, — couvert de velours noir, — orné de fleurs vermeilles…

« Devant la cellule passaient les vieux, — les chanteurs errans, les kaliki. — Ils virent avec étonnement la cellule : — « Que veut donc dire cette cellule, — et que signifie cette religieuse, — cette religieuse si jeune, — cette religieuse dans la cellule ? — Pour quel péché fait-elle pénitence ? — C’est un bien grand, sans doute, qu’elle expie. » — Hélas ! hélas ! chanteurs errans — impotens voyageurs, kaliki ! — Avez-vous