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en 1698, comme dans celui des Astrakanais à Apraxine en 1705, ce sont toujours les mêmes griefs qui reparaissent : violation des anciennes libertés, fardeau écrasant des impôts, recrutement militaire, exactions et cruautés des gouverneurs, la foi orthodoxe mise en péril par les Allemands, les attentats aux longues barbes et au costume national, l’infection sacrilège du tabac et autres nouveautés abominables.


« Nekrassof est parti, il a emmené, — de guerriers, quarante mille hommes, — sans parler des vieux qui ont vieilli, — sans parler des jeunes qui sont trop jeunes, — sans parler des bâtards et des sang-mêlés. — Le soir donc, ils se sont assemblés, — à minuit, ils ont tiré aux champs, — au point du jour, ils ont franchi — le glorieux, le paisible Don. — Sur le glorieux fleuve Dnieper, ils se sont arrêtés… — Ce n’est pas une lettre qu’il écrit, — ce n’est pas avec la plume, avec l’encre, — c’est avec ses larmes qu’il écrit, avec ses larmes brûlantes, — au comte Dolgorouki : — On a voulu raser aux vieux leur barbe, leurs moustaches, — on a voulu prendre les jeunes — pour en faire des soldats. — Tu es venu chez nous, sur le paisible Don ; — sans ordre du tsar, tu t’es mis — à ravager la contrée ; — alors nous avons abandonné — nos biens et notre avoir ; — nous sommes partis de la vallée — où coule le cher, le paisible Don ; — nous nous sommes rendus en l’obéissance — du sultan des Turcs ; — il nous a reçus — avec honneur, avec gloire ; — il nous a donné un cheval, — un cheval magnifique, — avec une selle tcherkesse. »


Depuis ce temps, les rancunes contre la Grande-Russie se sont évanouies ; une chanson, née sur la terre même de l’armée du Don, prouve que Nekrassof n’a plus été considéré par ses compatriotes, qu’il voulait affranchir, que comme un traître et un renégat.


« Qui donc, frères, nous a dit — que sur notre père, le Don paisible, — le cosaque Ignatouchka Nekrassof — était devenu un traître ? — Comment a-t-il trahi — le service du tsar blanc ? — Comment a-t-il été perfide — envers notre souverain ? .. — Il n’était pas seul à s’enfuir du Don ; — des cosaques le suivaient ; — non des vieux, des vétérans, mais de stupides jeunes gens. — Voici le discours qu’il leur fit, — notre traître : — « Cosaques, abandonnez — la foi-chrétienne ; — cosaques, embrassez — la foi musulmane… » Nous couperons la tête à Ignatouchka, — sa tête de rebelle ; — nous irons de nouveau — servir le tsar blanc. »


Le plus célèbre épisode de cette lutte de Pierre le Grand contre les élémens indisciplinés du monde russe, c’est la trahison de Mazeppa. Celui-ci avait captivé à ce point la confiance du tsar que, lorsque les polkovniks Iskra et Kotchoubey dénoncèrent les menées