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largeur, — profonde en sa profondeur ; — mais elle est plus lente-qu’un marécage, — plus tranquille qu’un pré inondé. » — Alors la rivière parla — avec ses sentimens de belle jeune fille : — Ô toi, brave jeune homme, écoute : — reviens vers moi, vers la rivière ; — tu as oublié sur mon bord, l’autre bord, — deux compagnons, deux amis fidèles, — deux couteaux d’acier. — Il revint, le jeune homme, — vers la rivière Smorodina. — Au premier pas qu’il fit dans l’eau, — son bon cheval y disparut ; — au second pas qu’il fit, — sa selle de cosaque fut couverte ; — au troisième pas qu’il fit, — le bon jeune homme fut noyé… — « Écoute, brave, hardi compagnon, — ce n’est pas moi qui te perds, qui te noie, — ce qui te perd et te noie, c’est ton orgueil de jeune homme. »


Lorsqu’en mars 1682 ; le tsar passai en Livonie, le gouverneur suédois de Riga, Dalberg, profita de ce que Pierre affectait l’incognito pour se dispenser de lui rendre aucun hommage. Lui et ses compagnons, les grands ambassadeurs, s’y virent même suspectés et surveillés. Le tsar s’étant hasardé à passer près des fortifications, on menaça de tirer sur lui. Plus tard, dans son manifeste pour la déclaration de guerre à la Suède, il dénonça ces outrages à son peuple comme le motif principal de la rupture. Dans les bylines, les choses ne se passent point aussi simplement. Ce n’est plus à Riga, c’est à Stockholm, en terre allemande, que va le tsar, déguisé en marchand anglais ou hollandais ; ce n’est plus avec Dalberg, c’est avec la reine de Suède qu’il est aux prises. Évidemment le peuple avait entendu parler vaguement d’Ulrique-Éléonore, sœur de Charles XII : c’est à elle que revient l’honneur de succéder dans le rôle de nymphe perfide, de dangereuse ennemie du tsar, à la vindicative rivière Smorodina :


« Personne ne sait, personne ne peut dire — où notre seigneur le tsar se dispose à porter ses pas. — Il a rempli ses vaisseaux d’argent pur, — il a orné ses vaisseaux d’or étincelant. — Il ne garde avec lui que peu d’hommes, — seulement des grenadiers du préobrajenski. — Notre seigneur le tsar blanc ; ordonne ainsi : — Écoutez, écoutez, officiers et soldats, — ne m’appelez plus ni votre tsar, ni votre seigneur ; — traitez-moi comme, un marchand, d’outre-mer…

« On voit un marchand se promener dans Stekoln (Stockholm) — et personne ne reconnaît ce marchand. — Un seul le reconnut : l’hetman de Suède. — En toute hâte il courut chez la reine : — Écoute, notre mère, notre reine ! — Ce n’est pas un marchand qui se promène dans la ville : — celui qui s’y promène, c’est le tsar blanc. — La reine s’avança sur son escalier rouge ; — elle avait les portraits des souverains de sept pays : — à son portrait, elle reconnut le tsar blanc ; — Elle cria à haute voix, la reine : — Écoutez, écoutes, mes généraux suédois ! —