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avec le tsar blanc, — pour passer le temps, pour amuser le tsar ? — Tous les princes, les boïars s’épouvantèrent, — dans le palais tous se dispersèrent ; — mais debout devant lui se tient un dragon, — un jeune dragon de vingt-cinq ans. — Il parle en ces termes au tsar blanc : Écoute, écoute, tsar orthodoxe, — tsar orthodoxe, Pierre Alexiévitch, — n’ordonne pas de me châtier, de me pendre ; — ordonne-moi de dire un mot… je suis jaloux de lutter avec le tsar-blanc, — pour passer le temps, pour amuser le tsar. — Si tu me terrasses, jeune dragon, je te ferai grâce, — si tu es vaincu, je te couperai la tête. — Le jeune dragon dit alors : — La volonté de Dieu soit faite et celle du tsar.

« Le tsar orthodoxe ceignit sa ceinture de soie ; — il sortit avec le jeune dragon ; ils s’empoignèrent… De la main gauche, le jeune dragon le renversa ; — de la main droite, il le soutint, — il l’empêcha de toucher la terre humide. — Et le tsar orthodoxe parla ainsi : Mille grâces, dragon, pour tes efforts… — Quel don, quel cadeau vais-je te faire ? — Des villages ou des domaines, — ou bien un coffre plein d’or ? — Je ne veux ni villages, ni domaines, — ni un cher coffre plein d’or ; — accorde-moi de boire l’eau-de-vie, sans payer, — dans tous les cabarets de la couronne. »


III. — L’EXPEDITION D’AZOF.

Le temps des amusemens et des guerres de parade était passé ; Pierre à son tour voulait cueillir de vrais lauriers. Il voulait éprouver son armée nouvelle dans une entreprise glorieuse, la plus glorieuse de toutes à ses yeux : la croisade contre l’infidèle et pour l’affranchissement des chrétiens d’Orient. La prise d’Azof ne devait être pour lui qu’un premier pas dans cette voie où l’appelait déjà le patriarche de Jérusalem. Il semble que toutes les expéditions dans ces régions de l’est, d’où étaient venus tant de fois les dominateurs tatars, aient eu le don d’éveiller l’imagination russe. Le grand mouvement poétique qui s’était fait au XVIe siècle autour de la conquête de Kazan et d’Astrakan se renouvela au XVIIe autour des deux expéditions d’Azof. Pierre avait fait pour ces campagnes d’immenses préparatifs. Tandis que des milliers de cosaques, de cavaliers nobles, de strélitz, de soldats de l’armée nouvelle se réunissaient sous les drapeaux, des milliers de paysans étaient occupés à charrier des matériaux, des milliers de travailleurs à construire, en une seule année, 1,700 embarcations. Partout retentissait le cri de guerre ou le bruit, sourd de la cognée dans les forêts séculaires. La Russie, remuée de fond en comble, s’éveilla et regarda. Au XVIe siècle, nous avons une série de chansons cosaques sous ce titrer : le Secours au tsar blanc sous Kazan, Voici le « secours au