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Le général Faidherbe, dans la Campagne de l’armée du nord, signale l’empressement avec lequel les populations prodiguèrent leurs soins aux blessés et aux convalescens. Les noms des personnes qui se montrèrent dévouées et charitables composent, dit-il, une liste aussi longue qu’honorable, et parmi ces noms méritent de figurer au premier rang ceux des dominicains, les révérends pères Barral, Deleforterie et Mercier. Pendant la bataille d’Amiens, on les vit au milieu des balles et des obus panser les blessés, les porter aux ambulances, et ramener au combat les mobiles qui lâchaient pied. L’un d’eux, le père Mercier, fut blessé trois fois sans vouloir quitter le champ de bataille. Les Prussiens le firent prisonnier, et pendant la nuit il put, sous la garde de deux fantassins qui ne le quittaient pas un seul instant, prodiguer à nos soldats, que l’ennemi ne relevait qu’après les siens, des secours qui en conservèrent un grand nombre à la vie.

C’en était fait de la petite armée du nord, si les généraux allemands avaient montré plus de décision pendant la bataille et poussé plus vigoureusement l’attaque ; mais ils ne songèrent pas même à inquiéter la retraite. Cette retraite, qui se fit en assez bon ordre sur Corbie, se changea sur d’autres points en un effroyable désordre. Les généraux tinrent un conseil de guerre pour savoir s’ils devaient le lendemain continuer à défendre les lignes de Dury ou se retirer sur la rive droite de la Somme ; ils reconnurent l’impossibilité de continuer la lutte, et ils décidèrent qu’Amiens serait évacué. Cette décision ne fut point transmise à l’état-major de la garde nationale, et le 28, à cinq heures du matin, les tambours battirent le rappel. Les hommes se présentèrent plus nombreux et mieux disposés encore que la veille ; après une longue attente, le colonel réunit ses officiers et leur fit savoir que les troupes pendant la nuit avaient abandonné la ville, et que la garde nationale devait se rendre à la gare pour y déposer ses armes. Cette notification fut accueillie avec un sentiment de stupeur et de désespoir. Les gardes déchargèrent leurs fusils au hasard et les brisèrent sur le pavé. La populace, sous prétexte d’empêcher les effets des soldats de tomber aux mains des Allemands, se mit à piller une caserne. Fort heureusement Amiens avait alors pour maire un homme calme et ferme, M. Dauphin, qui rendit à la ville et au département les plus signalés services. Il prit de bonnes mesures pour le maintien de l’ordre, et se rendit au quartier-général avec une partie du conseil municipal, afin d’obtenir les conditions les moins dures que faire se pourrait. L’armée prussienne entra dans la ville vers midi, et à