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cinq-cents, assistait à l’exécution. « Tiens ! dit-il, comme c’est drôle, le lait coule avec le sang ! »

Ce n’était pas seulement ceux qu’il pouvait regarder comme les ennemis naturels de la révolution, c’est-à-dire les nobles et les prêtres, que Joseph Le Bon « expédiait à la machine ; » c’étaient aussi, et en très grande majorité, les plus obscurs enfans de ce peuple dont il se disait le vengeur et l’ami. Les listes des tribunaux d’Arras et de Cambrai, reproduites par M. Paris, nous apprennent que le premier a fait exécuter 88 prêtres, nobles et officiers, 211 soldats, marchands, avocats, fermiers, ouvriers, domestiques, et 94 femmes, et le second 148 personnes des mêmes catégories, ce qui donne un total de 541 victimes.

Pendant le cours des exécutions, plus de cent détenus étaient morts dans les cachots, et 1,174 y attendaient leur arrêt, lorsque la chute de Robespierre vint mettre un terme aux égorgemens. Le Bon se hâta de retourner à Paris, et il avait repris son siège à la convention lorsque deux habitans de Cambrai se présentèrent à la barre pour demander sa mise en jugement. On vit alors se produire un fait qui se renouvelle invariablement à toutes les époques de crime et d’anarchie ; ceux qui l’avaient poussé au meurtre et qui s’étaient faits ses courtisans et ses complices furent les premiers à se tourner contre lui ; il fut renvoyé devant le tribunal d’Amiens et condamné à la peine de mort. Quand les geôliers lui mirent la chemise rouge, il s’écria : « Ce n’est pas moi qui dois la porter, c’est la convention ; » ce furent là ses dernières paroles. Dans le trajet de la prison au grand marché d’Amiens, ses jambes chancelaient tellement que les exécuteurs furent obligés de le soutenir, et ils le portèrent sur l’échafaud, l’œil éteint, pâle et à demi mort. Ses restes furent inhumés dans un champ désert, et dix ans plus tard on reconnaissait encore sa fosse aux tas de pierres qu’y avait jetés la population.

A Amiens, comme dans le reste de la France, la terreur avait anéanti la fortune publique, brisé les liens de famille, ruiné les ateliers et créé la famine ; cependant cette ville industrieuse eut bientôt réparé ses pertes. Au mois de frimaire an X, les plénipotentiaires de France, d’Angleterre, d’Espagne et de Hollande s’y rendirent pour signer la paix, qui fut accueillie avec enthousiasme par la population ; par malheur cette paix, si chaleureusement acclamée, fut bientôt rompue. Les fabriques d’Amiens conservèrent, malgré la guerre, une certaine activité, et prirent un grand essor sous la restauration et sous le gouvernement de juillet ; mais dans les dernières années du second empire deux fléaux qui semblent défier la science et les progrès de la civilisation, la peste et la guerre, lui ont fait cruellement payer ses jours de prospérité. Une épidémie cholérique y