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qu’elle ne le recevrait en grâce qu’à la condition qu’il lui apporterait les clés d’Amiens. L’Espagnol se le tint pour dit. Il savait que les Amiénois avaient refusé les 3,000 Suisses qu’Henri IV avait voulu mettre en garnison dans leur ville, et qu’ils étaient si fiers de se garder eux-mêmes qu’ils ne se gardaient pas. Il partit la nuit de Doullens avec 5,000 hommes de pied et 700 chevaux, les fit cacher dans un pli de terrain, aux abords d’Amiens, et envoya au moment de l’ouverture des portes le capitaine Durando et 40 soldats déguisés en paysans conduire trois charrettes vers l’une de ces portes, avec ordre de les arrêter juste à l’endroit où tombait la herse. Durando suivit de point en point ces instructions. Au moment où l’une des charrettes passait sous la voûte, un señor soldato délia, comme par maladresse, un sac de noix. Les quelques bourgeois qui gardaient le poste d’entrée se mirent à ramasser les noix : les Espagnols, tirant les armes qu’ils tenaient cachées sous leur jacquette, les égorgèrent tous, à l’exception d’un seul qui était monté sur le rempart pour faire tomber la herse ; mais elle s’arrêta sur la charrette en laissant un passage libre. Des renforts arrivèrent au même instant, et la petite armée d’Hernand Tello occupait déjà quelques-unes des principales rues lorsque les bourgeois s’aperçurent de la surprise ; une centaine environ se jetèrent en armes au-devant des Espagnols ; ils se firent tuer jusqu’au dernier, et l’ennemi resta maître de la place.

La prise d’Amiens frappa Henri IV de stupeur : sa moustache blanchit dans une seule nuit ; mais il n’était pas homme à se laisser abattre. D’immenses préparatifs furent faits au lendemain même de la fatale nouvelle, et après un siège glorieux, où il paya bravement de sa personne, il entra par capitulation dans la place le 25 septembre 1595. Les Espagnols s’étaient héroïquement défendus : ils avaient fatigué les assaillans par de continuelles sorties, et des 5,700 hommes qui avaient opéré l’audacieux coup de main il en restait à peine 2,000. Hernand Tello avait été tué ; ses soldats l’inhumèrent dans la cathédrale, et par l’article 1er de la capitulation ils stipulèrent qu’il ne serait point touché à sa sépulture. Cette clause a été respectée ; on voit aujourd’hui au pied de l’un des piliers de la nef une petite dalle sur laquelle on lit, à côté du millésime 1595, les lettres H.-T. ; c’est là que repose le vaillant capitaine qui tint en échec la fortune de l’un de nos plus grands rois.

En 1625, une partie de la cour de France avait accompagné jusqu’à Amiens Madame Henriette, qui venait d’épouser Charles Ier, et que Buckingham était chargé de conduire en Angleterre. Anne d’Autriche, pour se sanctifier, s’était logée chez l’évêque, Lefebvre de Caumartin, prélat célèbre par l’austérité de sa vie ; un soir