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l’embellirent et la fortifièrent. Au IIIe siècle, elle avait un palais impérial, un cirque, une citadelle, des temples de Jupiter et de Mercure, un atelier monétaire, une fabrique d’armes ; mais tout a disparu, et de la nombreuse population qui fournissait aux césars, pour leur garde personnelle, un contingent de grosse cavalerie, équités cataphractarii ambianenses, il ne reste aujourd’hui pour unique souvenir que deux noms de femmes, gravés sur des tombeaux, Metella Modesta et Claudia Lepidilla.

Les Romains, en s’établissant dans la Gaule, avaient ouvert leur panthéon aux dieux indigènes, et ceux-ci s’étaient faits les courtisans de Jupiter ; ils lui avaient emprunté sa foudre, l’Hercule gaulois avait pris les ailes de Mercure et la couronne rayonnante d’Apollon[1]. C’étaient des vaincus convertis dont on n’avait rien à craindre ; mais le Christ, tout en proclamant qu’il faut rendre à césar ce qui est à césar et à Dieu ce qui est à Dieu, donnait aux nations un autre maître que le maître de l’empire. L’apothéose césarienne était menacée, et c’est là ce qui explique les persécutions. L’Espagnol saint Firmin en fut la première victime dans la Picardie, parce qu’il y avait été le premier apôtre de la foi. Il subit le martyre à Amiens en l’an 304 ; mais bientôt les édits de Constantin proclamèrent la liberté du nouveau culte. Un soldat légionnaire, Hongrois de naissance, saint Martin, vint à son tour en 337 prêcher l’Evangile sur les lieux mêmes que Firmin avait arrosés de son sang. Le diable, sous les traits de Vénus ou de Mercure, venait en vain l’insulter toutes les nuits. Comme Polyeucte, il renversait les dieux de fer et d’airain, et enseignait aux peuples, aux spectateurs des jeux sanglans de l’amphithéâtre, des vertus inconnues du monde antique, la pitié et la charité. « Voyez la brebis, disait-il dans ses prédications, elle donne sa toison ; faites ainsi, vous autres, » et lui-même faisait comme la brebis. En entrant à Amiens, il partagea son manteau avec un pauvre, et la nuit suivante, dit la légende, il vit en songe le Christ vêtu de ce même manteau, qui disait aux anges : « C’est Martin qui m’a donné cet habit, quoiqu’il ne soit encore que catéchumène. » Amiens eut bientôt un siège épiscopal, et c’est à peine si, parmi ses quatre-vingt-quinze évêques, on en trouve, de l’an 300 à notre temps, trois ou quatre qui aient démérité de l’église et de l’histoire.

Sous la seconde race, Amiens fut trois fois ravagé et brûlé par les Normands, et les légendes qui se mêlent, dans les historiens du temps, au récit des faits authentiques témoignent de la profonde

  1. C’est ce que prouvent les statuettes des dieux panthées qui ont été retrouvées sur plusieurs points de la France. L’une de ces statuettes, la plus curieuse de toutes peut-être, a été déterrée aux environs d’Abbeville ; elle est conservée dans le musée de cette ville.