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généreux que Charles X, la ville recevait toujours quelque offrande des nouveaux gouvernemens. Grâce à cette manœuvre, habilement renouvelée, les salles de la mairie comptent aujourd’hui plus de 100 toiles, au nombre desquelles lui distingue le Siège de Troie, peint par Renaud en 1785, une Cléopâtre d’Henri Picon, la Duchesse de Clèves, de Laresse, 1676, un portrait de Puget, par Lebrun, un François Rubens et une Madeleine de Van Schendel, des Abel de Pujol et des Ziegler[1].

Ce ne sont pas, on le voit, les œuvres d’art qui manquent à Amiens ; mais la cathédrale fait souvent oublier tout le reste, même aux touristes les plus empressés. Cette cathédrale n’est pas seulement l’un des plus beaux monumens religieux du moyen âge, elle en est aussi le plus vaste, car elle couvre une superficie de 8,500 mètres carrés. Elle fut commencée en 1220 d’après les plans de Robert de Luzarches, et continuée par Thomas de Cormont et Renaud, son fils. Un labyrinthe ou chemin de Jérusalem consacrait le nom de ces habiles architectes par une inscription en vers du XIIIe siècle, et la reproduction de leur silhouette sur le pavé même de l’église qu’ils avaient bâtie. Ce rare et précieux monument a fait place, il y a quelques années, à un pavage moderne, et il est aujourd’hui conservé dans le musée ; les tombes en cuivre des deux évêques, Evrard de Fouilloy et Geoffroy d’Eu, qui ont fondé et achevé la cathédrale, existent encore dans les bas côtés, et par une rare exception aucun doute n’est possible sur les origines et l’âge de ce magnifique édifice. Les habitans y travaillèrent pendant-soixante-huit ans ; ils avaient établi autour des constructions une espèce de camp où ils se relevaient par escouades, taillaient les pierres et manœuvraient les cabestans tout en chantant des cantiques. Une flèche d’une prodigieuse hauteur s’élevait au-dessus de la nef ; elle fut détruite par la foudre en 1527. Deux charpentiers de village, Louis Gordon et Simon Tanneau, résolurent de la rebâtir, et six ans plus tard elle était complètement terminée. Comment de simples paysans avaient-ils pu mener à bonne fin une œuvre à laquelle suffirait à peine aujourd’hui la science des plus habiles architectes ? M. Félix de Verneilh a heureusement répondu à cette question en faisant l’histoire des corporations d’arts

  1. Depuis une trentaine d’années, le gouvernement et les villes ont beaucoup fait pour les monumens historiques, les bibliothèques et les archives ; mais on n’a point prêté aux nombreuses œuvres d’art dispersées sur tous les points de la France la même attention. Un catalogue général des tableaux des maîtres de l’école française qui se trouvent principalement dans les églises serait un travail très intéressant. Il en est encore un grand nombre qui sont tout à fait inconnus, et qui se détériorent chaque jour ; il est même arrivé quelquefois que des tableaux anciens d’un grand prix ont été échangés par les curés et les fabriques contre des toiles qui ne valaient pas même le cadre dans lequel elles étaient placées.