Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus saintes ; l’auteur, en racontant la vie de quelques-uns de ses élèves, se fait gloire de leur avoir inspiré une sainte impatience de mourir. Qu’importent les larmes des mères ? Cela ne le touche pas. Un de ses pensionnaires prie « Dieu de l’appeler à lui avant les vacances. » Un autre, à qui l’un de ses camarades mourant « demandait ses commissions pour le ciel, » le charge d’intercéder auprès du Tout-Puissant afin qu’il soit au plus vite rappelé de cette vallée de larmes, et voilà le père Loriquet qui tombe en extase, et s’admire lui-même d’avoir su si parfaitement détacher les âmes des choses de ce monde, sans se douter que dans ses accès d’égoïsme ascétique il ne faisait que parodier Molière.

Tout ce qui pouvait exalter jusqu’au délire de jeunes imaginations était mis en usage. On faisait faire aux élèves à pied dans une seule journée, pour aller en pèlerinage à Albert, 14 lieues, dont 9 à jeun. L’un d’eux, déjà souffrant de la poitrine, ne pouvait supporter les fatigues d’une si longue route ; il se plaignait vivement, et le père Loriquet, après avoir raconté le fait, dresse contre lui-même cet acte d’accusation : « il est certain que depuis le voyage d’Albert le mal de poitrine empira notablement, et que ce mal, après de longues et cruelles souffrances, aboutit à la mort. » Le révérend père est sans pitié pour ceux qui meurent des fatigues d’un pèlerinage, mais il éclate en regrets lorsqu’il perd un de ses élèves sur lequel il fondait les plus belles espérances, car « on ne l’avait jamais surpris à regarder personne en face. » La casuistique de Suarez et de Busembaum avait été l’arsenal où les parlemens allaient chercher leurs armes contre l’ordre de Jésus ; les petits livres du père Loriquet ont de même défrayé, sous la restauration, la polémique anti-cléricale, et l’on a peine à comprendre qu’une corporation qui comptait dans ses rangs tant d’hommes recommandables par leur science et leurs vertus privées ait laissé un des siens se livrer à de pareilles divagations. Par malheur, il en est de la religion comme de la politique : on s’emporte toujours aux choses extrêmes, et tandis que d’un côté on compromet la liberté par les souvenirs et les pratiques de la terreur, de l’autre on compromet la foi par un retour inintelligent aux traditions ténébreuses du moyen âge, à l’anéantissement de la raison, dans les rêveries du mysticisme, aux prodiges d’une thaumaturgie apocryphe. Les jésuites ont encore aujourd’hui à Amiens une maison d’éducation, la Providence, qui ne compte pas moins de 700 élèves ; cependant il faut leur rendre cette justice, que leur enseignement s’est profondément modifié. Ils ont plus à cœur de faire des bacheliers que de faire des saints, et ils montrent pour la préparation une très grande aptitude. Le lycée, stimulé par la concurrence, ne reste pas en arrière : les études y ont pris dans ces derniers temps un très