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et comprennent des velours en tout genre, des lainages tels que cachemires d’Ecosse, et des étoiles laine et soie : 35,000 pièces de velours sortent annuellement des ateliers d’Amiens ; mais ce chiffre, déjà si élevé, est loin de représenter la somme totale des marchandises que ces ateliers livrent à la circulation. Faute d’usines suffisantes, les négocians sont obligés de commissionner au dehors, principalement à Rouen et à Mulhouse ; ils achèvent de manufacturer les étoffes écrues qu’ils tirent de ces villes, et en écoulent environ 85,000 pièces par an, ce qui, joint aux velours fabriqués sur place, donne lieu à un mouvement d’affaires de plus de 100 millions. Toutefois il est à noter que dans ces dernières années la fabrication des velours, tissu façon de soie, dits velvets, a subi une réduction considérable ; elle est tombée de 10,000 pièces à 200, non pas que la consommation ait diminué, mais uniquement par suite des traités conclus avec la Belgique et l’Angleterre ; Manchester a aujourd’hui le monopole de cet article sur le marché français, et la chambre de commerce a présenté récemment à la commission de l’assemblée nationale, au sujet des traités du 5 novembre 1872 et du 5 février 1873, des observations très justes qui prouvent combien il serait important de voir figurer en plus grand nombre parmi nos députés des hommes pratiques, en état de discuter les questions industrielles et agricoles, qui sont lettre morte pour les hommes de parti.

Amiens n’est pas seulement une grande ville de fabrique, c’est aussi une ville littéraire et savante. Au moyen âge, elle a fourni un brillant contingent à la pléiade des trouvères, entre autres maître Richard de Fournival, qui vers 1,260 a mis en rimes le Bestiaire divin, ouvrage bizarre ou il élève l’instinct au-dessus de la raison et oppose aux vices des hommes les vertus des animaux, — Louis Choquet, auteur du Mystère de l’Apocalypse, — Girardin, Eustache et Riquier d’Amiens, qui allaient au XIIIe siècle par les châteaux et par les villes récitant le lai de l’Oyselet, les Aventures du sacristain et de la belle Ydoine, la femme au changeur Guillaume, ou l’histoire du Vilain qui conquit le paradis en plaidant contre saint Pierre, comme les bourgeois du nord avaient conquis la liberté en plaidant contre les évêques et les barons. Tandis que ces hardis et cyniques conteurs se donnaient libre carrière contre les moines et les nonnains, les bourgeois, qui formaient une aristocratie conservatrice et dévote, établissaient entre eux une confrérie littéraire pour chanter chaque année les louanges de Notre-Dame du Puy. Cette confrérie, lointain souvenir des ghildes germaniques, était célèbre parmi les associations du même genre établies dans les villes du nord. Les confrères étaient au nombre de vingt-deux en 1451, ce qui prouve qu’au moyen âge la poésie était beaucoup plus populaire et plus goûtée que de notre temps, car il serait impossible aujourd’hui de trouver