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jusqu’au fanatisme. » Les Anglais le savaient, et il était assez naturel qu’ils suscitassent à cet ennemi déclaré des entraves. Ils commencèrent par lui refuser les fonds nécessaires à l’entretien de ses troupes. « C’est le seul moyen, disait l’amiral, qu’ils aient de le culbuter, car je ne sais si le gouvernement lui-même serait assez fort pour ôter brusquement à Fabvier son commandement. »

Le plus grand hommage qu’une armée puisse rendre à son chef, c’est assurément de lui conserver sa confiance après la défaite. Le culte que les palikares avaient voué à Fabvier résistait à tous les insuccès, et ces insuccès au début (furent multipliés. Au mois de septembre 1825, les Grecs voulurent surprendre Tripolitza, laissée par Ibrahim sous la garde de quelques centaines d’hommes. Fabvier se joignit à cette expédition avec 300 de ses réguliers ; la tentative échoua complètement. Ce fut le premier mécompte. Au mois de mars 1826, le commandant en chef des tacticos débarquait dans l’île de Négrepont. Le pacha de l’Eubée se hâta de rassembler ses forces et dispersa sans peine les tacticos. Enveloppé par la cavalerie turque, Fabvier fut obligé de se rembarquer et de se réfugier sur l’île d’Andros, laissant sur le terrain toute son artillerie et trois officiers français, qui se firent bravement tuer à ses côtés. Indigné, humilié, Fabvier voulait donner sa démission. Ses soldats le retinrent, promettant avec larmes de montrer plus de fermeté une autre fois.

C’est toujours une entreprise délicate de vouloir changer d’un jour à l’autre les habitudes militaires d’une nation. La Turquie et la Grèce trouvaient peu de bénéfice à nous avoir emprunté notre tactique. Seul Méhémet-Ali avait en peu de temps réussi à se constituer une véritable armée exercée à l’européenne. Ses fellahs étaient une argile en quelque sorte ductile ; il pouvait tout leur apprendre, parce qu’il n’avait rien à leur faire oublier. L’organisateur des troupes de Méhémet-Ali, — je l’ai déjà dit, — était aussi un Français. Après les prodiges dont nous avions pendant vingt ans étonné le monde, il semblait que nous fussions les seuls à pouvoir enseigner le grand art de la guerre. Nos revers n’y avaient rien fait ; c’était encore aux plus humbles disciples du grand capitaine qu’on venait de toutes parts demander le secret de vaincre. Plus jeune de quatre ans que Fabvier, le colonel Sèves n’était encore que lieutenant dans l’armée française quand était tombé l’empire. Il vint en Égypte vers la fin de 1816. Ses facultés se développèrent rapidement avec les fonctions de plus en plus importantes qui lui furent confiées. Des juges compétens lui ont attribué une part considérable dans le succès des campagnes de 1833 et de 1839. Si son rôle fut plus effacé pendant l’invasion et la dévastation du Péloponèse, il le faut attribuer à la répugnance que lui inspirait une guerre