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monde. L’imagination s’est plus d’une fois vengée du dédain des hommes d’état en trompant leurs calculs. M. de Metternich était habile sans doute ; la folle du logis fut plus forte que lui, et l’ardeur passionnée qui s’empara des peuples les emporta bientôt dans une sphère inaccessible à ses artifices, La chute de Missolonghi avait consterné la Grèce ; elle raviva dans le reste de l’Europe un enthousiasme qui tendait à s’éteindre. Tout voyageur revenant du Levant devint, qu’il le voulût ou non, un rapsode ; on l’entourait dans les salons, on l’arrêtait sur les routes pour lui faire raconter les exploits merveilleux des Nikétas et des Botzaris. Les banquiers anglais s’étaient beaucoup refroidis depuis qu’ils avaient cessé d’entrevoir le remboursement possible de leurs avances. Par compensation, l’Allemagne s’était émue : les paysans du Tyrol et de la Bavière n’étaient plus les seuls à s’attendrir sur les malheurs de la Grèce ; mais rien n’égala le nouvel élan qui se produisit en France. Cette explosion soudaine de sympathie a justement mérité d’être appelée « le réveil du philhellénisme. » Tous les partis se trouvèrent un instant confondus. Les Chateaubriand, les La Rochefoucauld, les Noailles, les Fitz-James, les Sainte-Aulaire, les d’Harcourt, les Dalberg, marchèrent côte à côte des Laffitte et des Benjamin Constant. Les souscriptions sur-le-champ affluèrent. Le progrès des armées turques avait presque complètement tari pour les insurgés la source du revenu public. De 4 millions de francs, le produit de l’impôt était tombé à moins de 1 million. L’arriéré de solde des Souliotes eût absorbé à lui seul une année de revenu. Dans un conseil de guerre solennel tenu à Milo au mois de juillet 1825, la paie des matelots avait été fixée à 800 francs par an sur les brûlots, à 400 francs sur les autres navires de guerre. L’équipement et l’entretien de la flotte auraient demandé à ce taux plus d’argent que tous les collecteurs de taxes de la Grèce n’en avaient jamais recueilli aux temps les plus prospères de la domination turque. À moins de dépenser 10 ou 12 millions par an, il fallait renoncer à poursuivre une guerre régulière. L’indépendance nationale en était donc réduite depuis près de deux ans à s’affirmer par le brigandage. On conçoit de quel prix parurent dans cette extrémité les envois de numéraire opérés par les soins des comités qui se formaient à l’envi en France et en Allemagne.

On s’est beaucoup étendu sur la cupidité insatiable des Grecs. Les premières libéralités de l’Europe étaient-elles donc si désintéressées ? Porté à 40 millions de piastres turques remboursables en dix ans et hypothéqués sur les terres de la Morée, le premier emprunt anglais n’avait été en réalité, par suite d’un intérêt excessif prélevé d’avance, que de 15 à 18 millions, et encore sur cette somme fit-on figurer comme argent-reçu le montant de