Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuit et jour des patrouilles. Nous parcourons Constantinople dans tous les sens, et personne ne s’avise de nous regarder de travers. Cependant nous sommes sans gardes, car on nous a enlevé même les janissaires qui députe longues années avaient été affectés au service des ministres étrangers. Le nom de janissaire inspire de l’horreur ; on n’ose plus même le prononcer. »

« Si l’envie, écrivait de son côté M. Desages le 6 juillet 1826, prend aujourd’hui au sultan d’envoyer de cette canaille en Grèce, je vous réponds qu’il sera obéi. C’est l’Égyptien et son parti qui dominent. Tout est à l’égyptienne. La capitale est fort tranquille, et le sultan y est maître absolu. Les exécutions sont devenues assez rares faute de victimes, par lassitude ou parce que chacun tremble devant un code qui ne connaît de pénalité que la mort. Tout le monde veut apprendre à faire l’exercice. Nous verrons où cela mènera. » Telle est en effet la question qu’après la victoire il faut toujours finir par se poser. Il y a des instans dans la vie des nations où rien n’est plus facile que de détruire ; seulement, quand le vieil édifice a jonché le sol, on ne peut s’empêcher de contempler avec stupéfaction et avec une secrète terreur les débris. Quelle pierre relèvera-t-on la première ? quel ciment unira de nouveau ces assises ruinées ? Après les journées des 15, 16, 17 et 18 juin 1826, il n’y avait plus de janissaires ; mais y avait-il encore une Turquie ? Cet assemblage de fanatisme, de préjugés féroces, de brutalité sauvage, représentait la force qui avait jadis conquis plus de la moitié du monde. Où serait le lien, où serait la foi dans cette société qui, rompant brusquement avec le passé, ne demandait qu’à s’épanouir ? N’allait-on pas se trouver livré à tous les caprices puérils d’un despote sceptique qui prendrait la civilisation chrétienne par ses. petits côtés ? « Les janissaires remarquait avec beaucoup de justesse et d’à-propos M. Huder, étaient sans doute un obstacle à toute innovation, à tout progrès, mais ils formaient aussi une balance redoutable de pouvoir, balance plus sérieuse que ne le sont pour bien des ministres les chambres représentatives. Le souverain tremblait devant eux et n’osait rien entreprendre de contraire aux lois, car aussitôt les murmures de cette milice gênante le prévenaient des dangers auxquels il allait s’exposer. »

Le fils d’Abdul-Hamid, l’élève de Sélim III, n’avait plus de frein. De quelle façon s’y prendrait-il pour accomplir ce que son père et son malheureux cousin avaient sans doute rêvé, ce qu’il avait dû mûrir lui-même dans les retraites les plus inaccessibles de sa pensée ? À l’âge de quarante ans et après dix-huit années de règne, il venait de dompter une rébellion formidable. L’orgueil de la victoire illuminait ses traits, et prêtait plus de majesté encore à son