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autrefois le torrent impétueux du courage ottoman, bravaient depuis cinq ans les efforts d’une monarchie que le ciel avait destinée à durer aussi longtemps que le monde. De toutes les races diverses répandues sur la surface du globe, en était-il une seule qui produisît autant de guerriers courageux et robustes que le peuple choisi pour propager la parole du prophète ? Les chrétiens ne connaissent point l’enthousiasme religieux ; les idées de récompenses promises dans l’autre vie ne leur font point comme au soldat musulman braver intrépidement la mort. Donnez aux armées musulmanes la tactique, les manœuvres, la discipline des chrétiens, et les forces réunies de l’Europe céderont à leur courage, secondé par la science ; mais des soldats que n’enchaînent pas à leur rang les liens de l’obéissance, quand ils seraient aussi nombreux que les sables de la mer, quand ils auraient la valeur de Roustem ou de Cahraman, ne sauraient triompher d’un ennemi discipliné. La fuite d’un seul lâche entraînera les autres, et l’opprobre d’une défaite attend inévitablement leur général. »

Tels étaient les raisonnemens par lesquels le sultan Mahmoud s’excitait à reprendre l’œuvre interrompue du sultan Sélim. Malheureusement les difficultés d’une semblable tâche étaient grandes. Le soldat turc ne voulait s’exercer « qu’à tirer à balles sur des pots de terre, à couper des rouleaux de feutre avec son sabre. » Il refusait obstinément « de se tenir à son rang en silence, recueilli comme un homme en prière, attentif à exécuter les ordres, appliqué à suivre les mouvemens de son chef, ainsi que dans la mosquée le fidèle suit ceux de son iman. » Au lieu de s’élancer entre les deux lignes le yatagan à la main, criant d’une voix éclatante : « Qui veut se mesurer avec moi ! » il lui faudrait désormais rester immobile sous le feu de l’artillerie, marcher au pas sous la fusillade. C’était là peut-être se conformer aux plus sages préceptes du Coran, employer contre les infidèles les moyens dont les infidèles se servaient pour combattre avec avantage les enfans chéris du vrai Dieu ; ce n’en était pas moins une transformation à peu près impossible. Autant eût valu essayer de redresser un bâton de bois tors le jour où ce bâton desséché aurait perdu avec sa sève son élasticité.

La prise de Missolonghi venait d’ajouter un nouveau lustre aux armes d’Ibrahim. L’impulsion décisive imprimée aux idées de réforme fut à Constantinople un mouvement égyptien. L’agent du pacha d’Égypte, Nedjib-Effendi, poussait depuis longtemps le sultan dans cette voie. Son assurance, ses promesses de concours, entraînèrent le conseil des ministres. Le peuple d’ailleurs, — ne le perdons pas de vue, — tenait déjà en très mince estime les