Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentations judicieuses de Mme de Longueville lui firent accepter cette touchante violence faite à sa modestie. En plaçant sur le tombeau l’effigie de la duchesse encore vivante, l’artiste lui a rapporté tout l’honneur du monument. Elle en est la pensée première et le but, nous dit-il assez clairement ; le monument que voici est moins un sépulcre qu’un autel élevé à la plus fidèle et à la plus noble des douleurs conjugales ; il est destiné à consacrer le souvenir d’un grand amour encore plus que le souvenir d’un mort illustre. Et en effet, en dépit de ses défauts, ce tombeau est unique en ce qu’il a ce double caractère de monument funèbre et de monument commémoratif ; il parle de mort, mais il glorifie en même temps quelque chose de vivant que la mort ne peut atteindre et que le temps ne vaincra pas. L’exécution de ce mausolée (c’est le nom que les contemporains donnèrent à ce monument, et c’est son nom véritable) n’a pas été à la hauteur de l’inspiration première de l’artiste ; mais cette inspiration est d’une noblesse et d’une beauté véritables qui se découvrent aisément en dépit des défaillances de la main et du ciseau.

Ce monument de la fidélité conjugale nous est parvenu intact par une sorte de miracle. Un jour de l’année 1793, un citoyen de Moulins rencontre une bande de sans-culottes qui se portait à la Visitation pour détruire ce tombeau. Il entre avec elle dans le couvent, et, dès qu’il voit se lever marteaux et gourdins, il arrête cette brutalité iconoclaste par ces paroles dites avec chaleur et conviction : « citoyens, respectez ce monument ; celui qu’il renferme n’était point un aristocrate, c’était un bon citoyen comme vous, qui conspira contre la royauté et eut les honneurs de la guillotine. » L’inspiration de cet homme d’esprit (incontestablement c’en était un) eut un plein succès. Cette anecdote est instructive et contient sa philosophie, car elle nous apprend avec quelle facilité les multitudes se paient de mauvaises raisons, et combien il est inutile d’en chercher de bonnes soit pour les retenir, soit pour les lancer. Cette même multitude qui consentait à respecter le tombeau du sans-culotte Montmorency se serait certainement laissé persuader avec la même docilité de profaner la tombe du cagot Vincent de Paul[1].


EMILE MONTEGUT.

  1. Nous trouvons cette anecdote instructive dans l’Allier pittoresque de M. de Jolimont, description du Bourbonnais parfois un peu sèche, mais où se rencontrent maints détails curieux.