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reine-mère, sa compatriote ? Mais ce qui mieux que toute preuve affirme que la duchesse eut part à l’entreprise de son mari, c’est le caractère même de sa longue douleur. Elle porta son malheur comme un deuil, mais aussi comme un cilice, comme une amertume, mais aussi comme un repentir ; elle pleura comme une femme non-seulement qui ne peut pas, mais qui ne doit pas être consolée. Il y a là quelque chose qui ressemble à l’expiation volontaire d’une âme pour qui ne pas oublier serait trop peu, et qui ne consent pas à se pardonner.

La solitude était tout ce qu’elle demandait au monde ; pourtant le monde ne la lui permit jamais aussi profonde qu’elle la désirait. La liquidation seule de son état de maison l’occupa vingt années, et ce n’est qu’en 1657 qu’elle put enfin prendre le voile. Dans cet intervalle, le silence du couvent de la Visitation fut bien souvent troublé par d’illustres visiteurs, qui, loin d’endormir sa peine, la réveillaient involontairement en lui rappelant qui elle avait été et qui elle était encore. Parmi ces visites, il en fut deux qui durent être au nombre des plus cruelles épreuves qu’une âme puisse subir, celles de Gaston d’Orléans et de Richelieu. Quel effort elle dut faire pour recevoir sans mépris apparent le prince pusillanime, irrésolu, étourdi, qui après avoir entraîné le duc à sa perte n’avait pas eu le courage de poursuivre cette prise d’armes insensée à l’origine, mais qui après la capture du maréchal devenait l’unique moyen, d’intercéder avec efficacité ! Par honneur, Gaston se devait de ne pas déposer les armes avant d’avoir assuré le salut du duc, et il avait cédé dès le premier revers. Toutefois les sentimens que la visite de Gaston dut soulever dans le cœur de la duchesse ne sont rien à côté de la haine que le nom seul de Richelieu devait lui inspirer. Aussi n’essaya-t-elle pas de la dominer un jour que, Richelieu étant de passage à Moulins, un gentilhomme se présenta devant elle porteur des hommages du cardinal : « Monsieur, répondit-elle, vous direz à votre maître que mes larmes parlent pour moi, et que je suis sa très humble servante. » Parmi ces visites, il en est une infiniment noble, celle que, bien des années après, lui fit Louis XIV, alors qu’elle avait déjà pris le voile, et qu’une cellule dépouillée était tout le luxe qu’elle avait voulu conserver. Les paroles par lesquelles il prit congé d’elle sont, comme presque toutes celles qu’il a prononcées, admirables de dignité et de sérieux royal. « Nous trouvons tous ici de quoi nous instruire, dit-il. Il n’est pas besoin, madame, que je vous recommande de prier pour le roi ; vous lui êtes assez proche pour prendre intérêt à ce qui le touche. » Bien des souverains et des princes ont été célèbres pour leur courtoisie, mais il a été vraiment donné à Louis XIV d’élever la politesse à toute sa perfection