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redevances oppressives ont stérilisé pendant tant de siècles ; ce témoignage, c’est le château de Rambures. On trouverait difficilement dans toute la France un spécimen de l’architecture militaire des premières années du XVe siècle dans un plus parfait état de conservation. Quatre énormes tours de briques s’élèvent aux angles de cette forteresse quadrangulaire que surmontent encore les anciennes toitures en poivrières. Dans les murs, qui ont une épaisseur de plusieurs mètres, sont percées des embrasures qui ne présentent sur la campagne qu’une ouverture étroite, mais qui dans leur évidement intérieur donneraient facilement place à un homme à cheval.

Un donjon octogone se dresse dans l’un des angles de la cour, et la disposition générale révèle une remarquable entente des choses de la guerre. Tout y est préparé pour une longue défense ; des souterrains où se trouvent des écuries, des boulangeries, des puits, des magasins capables de contenir des approvisionnemens considérables, descendent profondément sous les tours, les courtines et le donjon, et dans le sol même de ces sombres et froides excavations s’ouvrent des oubliettes où le seigneur du lieu pouvait, sans autre forme de procès, jeter les mainmortables lorsqu’ils n’allaient pas faire moudre leur blé à ses moulins banniers, cuire leur pain à ses fours, ou qu’ils refusaient de moissonner ses terres et de payer les cens. Le château de Rambures, habité aujourd’hui par MM. de Fontenille, est la grande curiosité archéologique de Vimeux. C’est là que se portent de préférence les touristes que les bains de mer attirent à Saint-Valery et à Cayeux ; mais il est aussi dans les mêmes cantons deux villages que l’on ne saurait oublier dans une excursion historique, Mons et Saucourt.

En l’an 881, un chef normand, Guaramond, débarqua sur les côtes de la Manche, brûla Boulogne, Térouanne, Arras, et livra le Vimeux et le Ponthieu aux plus sauvages dévastations. Louis III, qui se trouvait alors occupé au siège de Vienne en Dauphiné, laissa devant cette place son frère Carloman, et malgré la distance il se hâta d’accourir pour porter secours à ses sujets du royaume de Neustrie. Au bruit de son approche, les Normands, qui suivaient le littoral pour rester à portée de leur flotte, prirent position auprès du hameau de Saucourt, situé à 16 kilomètres d’Abbeville, sur la droite de la grande route de cette ville à Eu. Louis III, posté sur le plateau qui longe la petite vallée de la Trie, n’était séparé d’eux que par une faible distance ; il franchit cette vallée et se déploya parallèlement à leur front, en avant du village de Franleu (Francorum locus). Le choc fut terrible. ; 9,000 Normands restèrent dans la plaine, et la victoire de Saucourt fut célébrée par les poètes dans