châtie pour son bien, afin que le souvenir de la peine s’associe dans son esprit à l’idée de l’acte et l’en détourne une autre fois. » Quel droit avez-vous d’imposer à un être humain ce singulier bénéfice de la peine, s’il n’est pas vraiment responsable de la faute ? Quel droit avez-vous de faire son bien contre son droit, de l’obliger malgré lui, et de l’obliger de cette singulière manière, en le frappant ? C’est un nouveau et odieux despotisme que vous inventez là celui de la charité.
Mais, répond M. Mill, c’est surtout dans l’intérêt social que j’agis ainsi. Voilà donc le grand mot prononcé. Nous l’attendions depuis longtemps, et de fait il n’y a pas d’autre argument décisif dans toute la discussion de M. Mill. Tout se réduit en effet à cette raison suprême, même l’intérêt individuel du coupable, qui, à vrai dire, n’est qu’un cas particulier de l’utilité sociale. C’est là l’élément intelligible, pratique, le milieu réel où se meut à l’aise la pensée de ce subtil dialecticien. « Le châtiment est une précaution que la société prend pour sa propre défense. Pour que le châtiment soit juste, il suffit que le but poursuivi par la société soit juste. Si la société s’en sert pour fouler aux pieds les justes droits des particuliers, le châtiment est injuste. Si elle s’en sert pour protéger les droits des citoyens contre une agression injuste et criminelle, elle est juste. Si l’on a des droits, il ne peut être injuste de les défendre. Donc, avec ou sans libre arbitre, la punition est juste dans la mesure où elle est nécessaire pour atteindre le but social, de même qu’il est juste de mettre une bête féroce à mort (sans lui infliger des souffrances inutiles) pour se protéger contre elle. » Voilà le dernier mot de cette théorie, jusque-là si obscure et si péniblement déduite.
Ces considérations tranchantes et sommaires doivent se compléter par la lecture du traité de l’Utilitarianisme, où M. Mill expose les origines du sentiment et de l’idée de justice. Au début de la vie humaine ou de la vie sociale, ce sentiment n’est pas autre chose que le désir naturel et même animal de représailles qui nous porte à faire du mal à qui nous en fait soit dans notre personne, soit dans un objet qui nous intéresse. Ce sentiment naturel, qu’il soit instinctif ou acquis, n’a d’abord rien en soi de moral. Il se moralise à la longue par son alliance avec l’idée du bien général, qui le restreint, le limite, le définit ; il devient alors notre sentiment moral de justice, et ainsi se marque la différence de la théorie matérialiste, qui n’invoque contre le coupable que la force, avec la théorie déterministe, qui élève un instinct à la hauteur d’un sentiment moral par l’intervention de l’utilité sociale. Cela suffit-il en effet ? Sans doute on n’en est plus réduit, avec M. Mill comme