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physique ou d’un motif absolument irrésistible ; mais s’il était hors de ces conditions exceptionnelles qui constituent des causes d’immunité, s’il se trouvait dans un état où la crainte du châtiment pouvait agir sur lui, il n’y a pas d’objection métaphysique qui puisse, à mon avis, lui faire trouver son châtiment injuste. Il est en tout cas responsable de ses dispositions mentales, — un amour insuffisant du bien et une aversion insuffisante du mal, — responsable de son caractère, qu’il n’a pas modifié dans le sens des bons sentimens. Cela seul justifie la peine, à ses yeux comme aux yeux des autres hommes. — Cette réponse semblera à tout juge impartial singulièrement défectueuse. L’homme devient responsable de n’avoir pas donné la prépondérance à la crainte du châtiment sur les motifs qui le sollicitaient au crime. Il pouvait donc le faire : cela dépendait donc de lui ? Mais quel autre sens peut-on donner raisonnablement à la liberté du choix ? Ou cette réponse ne signifie pas grand’chose et ne prouve que l’embarras de M. Mill, ou bien elle prouve contre sa thèse. Ici encore il lui arrive ce qui arrive à tous les déterministes sans exception. Quand ils ne sont pas surveillés par un adversaire prêt à la riposte et qui les tient en éveil, ils s’abandonnent aux instincts, aux traditions de la langue et de l’opinion communes ; ils parlent et pensent comme la conscience humaine, à laquelle leur théorie fait violence, et qui reprend en eux son cours dès qu’elle peut.

L’utilité personnelle du châtiment fût-elle aussi rigoureusement démontrée qu’elle l’est peu dans l’hypothèse déterministe, cela ne suffirait pas pour en établir la légitimité, et c’est ce qui reste encore à prouver, après tant d’efforts. A supposer qu’elle dût être décisive, l’influence salutaire à exercer sur les déterminations futures d’un homme est-elle un motif suffisant pour frapper une action criminelle qui n’a pas été libre ? C’est toujours là qu’il en faut revenir. Nous ne pouvons admettre cette audacieuse justification de la thèse de M. Mill, à savoir que faire du bien à une personne, ce ne peut être lui faire du tort, et qu’on la punit pour son propre bien. On irait loin avec de pareils principes, qui pourraient servir d’excuse toute prête à toutes les entreprises contre la liberté individuelle. — Cet homme est malade, direz-vous ; il ne veut pas se soigner, je le soigne de force, je le guéris malgré lui, ne suis-je pas son bienfaiteur ? — Ou bien encore : cet homme est adonné à l’ivrognerie ; je l’enferme, je vais à coup sûr le corriger. Et comme il devra m’en savoir gré ! — Ou bien : il est fou, sa folie va éclater bientôt à tous les yeux ; par précaution, je le place dans une maison de santé. — On se récriera sur ces exemples ; mais n’est-ce pas absolument le raisonnement de M. Mill ? « Cet homme a commis un acte grave, il n’était pas libre en le commettant ; mais je le