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troupes, et enfermé l’insurrection royaliste « dans le château de ses princes. » Nous venons de dire que tout était fini dans la matinée du 4 septembre ; nous parlions seulement de l’échauffourée de la veille. En réalité, c’était le début d’une crise qui a failli mettre le feu à l’Europe.

La Prusse ne devait pas négliger une telle occasion d’intervenir soit que cette prise d’armes eût été encouragée par elle, soit que le zèle de quelques amis eût tenté cette folie à son insu, le roi Frédéric-Guillaume IV ne pouvait abandonner des gens qui avaient arboré son drapeau sur ses vieilles tours. Son droit subsistait toujours, ayant été à plusieurs reprises reconnu par l’Europe. Aux conférences de Londres en 1852, la reconnaissance de ce droit avait été insérée dans le protocole. En 1854, lorsque l’Angleterre demandait à la Prusse de rester neutre dans la guerre de Crimée, Frédéric-Guillaume y mettait cette condition, que l’Angleterre et la France lui feraient restituer son cher Neufchatel. Enfin en 1856 pendant les délibérations du traité de Paris, le baron de Manteuffel obtenait que la reconnaissance des droits du roi de Prusse, prince souverain de Neufchatel et comte de Valengin, fussent insérés dans le protocole du traité (séance du 8 avril 1856). La tentative du 4 septembre de la même année devait donc exciter à la cour de Frédéric-Guillaume IV les émotions les plus vives.

Le cabinet de Berlin, sans perdre un jour, adressa aux quatre grandes puissances une circulaire où se trouvent ces mots : « des sujets du roi ont été arrêtés et mis en prison parce qu’ils ont échoué dans une tentative destinée à rétablir l’autorité royale, méconnue depuis huit ans par la désastreuse influence des révolutionnaires étrangers qui ont imposé leur volonté à la très grande majorité des habitans de Neufchatel. Le fait seul de l’arrestation et des emprisonnemens des sujets du roi est déjà une insulte à son autorité, une négation de son droit et une atteinte à sa considération personnelle — une insulte qui tous les jours s’aggrave. » On reconnaît ici l’accent même de Frédéric-Guillaume IV ; on le reconnut surtout le 29 novembre suivant, lorsque le roi de Prusse ouvrit le parlement à Berlin. Après avoir dit qu’il ne renonçait pas encore à l’espoir d’obtenir par des négociations une solution conforme à la dignité de sa couronne, il ajoutait : « Cependant je ne puis ni ne dois consentir à ce que ma longanimité soit transformée en une arme contre mon droit lui-même. » Et, associant la nation prussienne à ses griefs comme prince de Neufchatel, il semblait déjà pousser le cri de guerre contre la Suisse. « À ces paroles, dit M. de Ranke, les applaudissemens éclatèrent comme un feu de peloton. »

La Suisse y répondit par d’énergiques mesures et un