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Si M. de Bunsen a été au-dessous de sa tâche dans son ambassade d’Angleterre, cette fois du moins il se redresse. Hier encore il était le jouet de lord Palmerston, et, par sa mollesse à défendre la cause de son maître, il s’attirait des objurgations auxquelles il ne savait que répondre ; aujourd’hui, le voilà redevenu l’homme qu’il était. Le libéral généreux a senti l’aiguillon. Il est prêt à avouer les fautes qu’il a pu commettre ; doit-il courber la tête, si c’est le principe même de sa vie qui est traité avec injure ? Sa foi politique est insultée, il répondra.

Il répondra en philosophe, au nom des principes méconnus ; il répondra aussi en ami, au nom de l’affection blessée. Le roi ne connaît pas le libéralisme dont il parle ; il ne connaît qu’un faux libéralisme, celui qui engendre les tyrannies d’en bas, et les reproches qu’il lui adresse si justement, il les mérite lui-même pour sa conception de l’autorité, conception également funeste qui engendre les tyrannies d’en haut. Les partisans du faux système d’autorité prétendent, d’après Haller et Stahl, que la source du droit est dans le chef de l’état ; les partisans du faux libéralisme soutiennent, d’après Jean-Jacques Rousseau, que la source du droit est dans l’individu. C’est la même erreur en sens contraire. Pour l’individu comme pour l’état, le principe du droit est en Dieu. L’homme étant créé pour vivre en société, la société, ayant pour clé de voûte la conception de l’état, il s’ensuit que l’état et l’individu tiennent leurs droits du créateur. Il n’est pas inutile de rappeler ces principes au roi puisque le roi est entouré de gens qui les dénaturent. Niebuhr, que le roi semble accuser de faux libéralisme, n’a pas eu à se convertir en mourant ; il avait embrassé la foi du libéralisme véritable à une époque où les disciples de Haller n’étaient pas encore nés. « Pour moi, ajoute Bunsen, sous la direction de Niebuhr et avec lui, j’ai puisé ces doctrines de salut dans la Bible, dans Sophocle, dans Platon, dans Emmanuel Kant, alors que ces philosophes de cour balbutiaient encore ou s’efforçaient à grand’peine de se dégager des liens du jacobinisme. Jamais, à la vérité, nous n’avons voulu prendre des leçons à l’école des hobereaux de Brandebourg ! Jamais nous n’avons aspiré à la réputation d’hommes bien pensans en acceptant les principes avec lesquels ces messieurs ont fait plus de tort à la monarchie que les faux libéraux avec leurs fausses doctrines ! Loin de nous joindre à eux, nous avons, d’un cœur fidèle et d’une voix prophétique, crié : malheur ! malheur ! quand nous les ayons aperçus à côté du trône et sur Bes degrés même. Voyant le vaisseau courir à l’abîme, nous n’avons pu retenir nos cris de détresse. Dieu cependant nous a préservés tous deux du désespoir. C’est l’œuvre du Seigneur, non pas la nôtre. Non nobis, Domine, non nobis ! .. Votre majesté reviendra certainement à nos idées dès