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Prusse, que lui transmettait M. de Bunsen, lord Palmerston convertissait M. de Bunsen à ses idées, et M. de Bunsen écrivait sans cesse au roi (on le voit bien par les réponses de Frédéric-Guillaume) qu’il se trompait dans l’affaire suisse, que le radicalisme suisse n’offrait rien de dangereux, qu’il n’y avait là autre chose qu’une querelle entre protestans et catholiques, enfin que ce n’était pas au roi de Prusse, prince de Neufchatel, de soutenir à Berne la cause des ultramontains. Lord Palmerston ne triomphait pas si aisément du ferme esprit de M. le duc de Broglie, ambassadeur de France à Londres. On peut voir dans les Mémoires de M. Guizot avec quelle précision M. le duc de Broglie déjouait les équivoques du ministre anglais, avec quelle vigueur il le forçait à s’expliquer. Cette discussion si nette, si pressante, sous des formes diplomatiques irréprochables, fait grand honneur à l’illustre envoyé de la France et au gouvernement qu’il représentait. M. le duc de Broglie, tout en arrachant à lord Palmerston des réponses décisives, ne pouvait l’empêcher de mettre en usage certains stratagèmes qui appartiennent plutôt à la comédie qu’à la politique. Les grandes puissances avaient fini par se mettre d’accord au mois de novembre 1847 sur une note collective adressée à la diète helvétique, et qui devait empêcher la guerre civile. Lord Palmerston, qui désirait le triomphe des radicaux, avait traîné la négociation en longueur, afin de laisser à la diète le temps d’écraser les sept cantons du Sonderbund ; obligé enfin de céder à la dialectique de M. le duc de Broglie, savez-vous ce qu’il fit ? L’envoyé de l’Angleterre à Berne fut chargé de dire au général Dufour, commandant des troupes de la diète : « Nous avons dû céder à la pression de la France, la note collective est signée ; ne perdez pas un jour, pas une heure, écrasez Lucerne, écrasez les sept cantons, la note arrivera trop tard. »

Signer dans un sens et agir dans un autre, c’est affaire à un personnage de comédie ; est-ce une conduite digne d’un grand ministre, du représentant d’une grande nation ? La fourberie était si forte que les esprits sérieux refusèrent d’y croire quand la nouvelle s’en répandit dans le monde politique. Notre collaborateur écrivait en sa Chronique du 30 novembre 1847 : « Lord Palmerston paraît ne s’être déterminé qu’à contre-cœur à s’associer aux intentions des autres puissances ; il n’a probablement cédé qu’à la conviction que, si le gouvernement anglais persistait à rester à l’écart, on agirait sans lui. Il nous répugnerait cependant de croire qu’en même temps que lord Palmerston se réunissait à l’offre de la médiation, son représentant en Suisse, M. Peel, eût envoyé son chapelain au général Dufour pour l’engager à ne pas perdre de temps et à en finir le plus vite possible avec le Sonderbund avant qu’on eût pu