Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ait pas transpiré quelque chose. M. Guizot assurément n’était pas homme à négliger des détails si caractéristiques, si les rapports de chancellerie les lui avaient signalés. Le rôle du prince de Metternich dans cette affaire, ce rôle si finement, si complètement mis en lumière par l’auteur des Mémoires, n’offre pas, il s’en faut bien, le dramatique intérêt qui s’attache à l’intervention personnelle du roi de Prusse.

Frédéric-Guillaume ne cessait de parler et d’agir au sujet des événemens de la Suisse. Il-avait là-dessus tout un système, et il considérait comme des aveugles ceux qui ne partageaient pas sa manière de voir. Ce système, il l’avait conçu dès le commencement de la crise, dès l’année 1845, c’est-à-dire au moment même où M. Guizot faisait sonder les cabinets étrangers sur leurs dispositions en vue de l’avenir. La lettre dont on vient de lire un extrait est du 23 mars 1845. Plus tard, quand la crise eut passé à l’état aigu, les idées de Frédéric-Guillaume devinrent pour ainsi dire des passions. Avec son imagination si vive, il croyait assister aux premiers engagemens d’une grande bataille dont l’Europe allait être le théâtre. Il était lui-même dans la mêlée. C’était le moment où la tribune de la chambre des pairs allait faire retentir en France et en Europe les plus éloquentes protestations contre les violences des radicaux. Les discours de M. Pelet de la Lozère, de M. le duc de Noailles, de M. de Montalembert, dans les mémorables séances de la discussion de l’adresse au mois de janvier 1848, font honneur, comme dit Fénelon, à la parole humaine. C’était le moment où ici même notre collaborateur chargé de la chronique politique écrivait ces mots : « chaque jour, un cercle de fer se resserre autour des cantons fidèles et les étreint de plus en plus. L’armée radicale choisit ses morceaux ; c’est sur Fribourg que portera sa première attaque. Fribourg est isolé : il n’est pas, comme Lucerne, adossé aux petits cantons ; 30,000 hommes sont en marche pour l’écraser ; Berne donnera d’un côté, Vaud et Genève de l’autre. Quelle noble campagne ! Demain sans doute on connaîtra le premier résultat ; on saura ce qu’ont fait 30,000 radicaux contre une petite ville dont la plus grande force est dans la justice de sa cause. » Ce lendemain ne se fit guère attendre ; avant la fin du mois de novembre, Fribourg avait capitulé, le Sonderbund était vaincu, la justice avait succombé sous la force. Le jour même où ces événemens s’accomplissaient, le roi de Prusse adressait la lettre suivante à M. de Bunsen :


« Tout accablé que je suis d’affaires pressantes, je saisis quelques minutes de liberté pour vous dire en peu de mots le fond des principes qui m’ont déterminé à agir et à parler, comme j’ai agi et parlé jusqu’à ce jour, comme je ne cesserai d’agir et de parler à l’avenir, jusqu’à