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On comprend que le roi de Prusse ait suivi de tels événemens avec l’anxiété la plus vive. Protestant des plus zélés, il était chrétien par-dessus tout ; il sentit bien que ces agressions démagogiques étaient dirigées contre le christianisme. Lors même que ses nobles sentimens ne l’eussent pas attaché dès le début de la lutte à la cause des catholiques injustement frappés, il n’aurait pas tardé à s’apercevoir qu’il était menacé dans ses amis de Neufchatel. Est-ce que les pasteurs les plus respectés de Genève et de Lausanne, est-ce que le représentant le plus illustre du protestantisme évangélique en Suisse, M. Alexandre Vinet, n’ont pas été opprimés en 1847 par les mêmes hommes qui poursuivaient le Sonderbund ? La haine du Sonderbund n’était qu’un masque ; le radicalisme s’attaquait plus haut. De 1841 à 1847, depuis la suppression des couvens d’Argovie jusqu’à la déroute du Sonderbund et bien au-delà encore, le prince de Neufchatel n’a cessé de voir dans les troubles de la Suisse un immense danger pour la civilisation chrétienne ; il désirait ardemment l’intervention de l’Europe.

Les grandes puissances étaient très partagées sur la conduite à tenir. Au mois de mai 1845, après l’attaque de Lucerne par les corps-francs, comme la défaite d’Ochsenbein, loin de terminer le conflit, présageait au contraire des luttes plus violentes, M. Guizot voulut connaître les intentions des divers cabinets. Il leur adressa une série de questions nettes et précises. Le roi de Prusse étant le plus directement engagé dans la question, M. Guizot avait écrit d’abord au marquis de Dalmatie, notre ministre à Berlin : « Si la guerre civile commence révolutionnairement en Suisse, nous ne devons, je crois, rien faire, ni même nous montrer disposés à rien faire avant que le mal se soit fait rudement sentir aux Suisses. Toute action extérieure qui devancerait le sentiment profond du mal et le désir sérieux du remède nuirait au lieu de servir. En aucun cas, aucune intervention ministérielle isolée de l’une des puissances ne saurait être admise, et quant à une intervention matérielle collective des puissances, deux choses sont désirables : l’une, qu’on puisse toujours l’éviter, car elle serait très embarrassante ; l’autre, que si elle doit jamais avoir lieu, elle n’ait lieu que par une nécessité évidente, sur le vœu, je dirai même sur la provocation d’une partie de la Suisse recourant à la médiation de l’Europe pour échapper à la guerre civile et à l’anarchie. Nous n’avons donc, quant à présent, qu’à attendre ; mais en attendant nous avons besoin, je crois, de nous bien entendre sur cette situation et sur les diverses éventualités possibles, car il ne faut pas que, si la nécessité de quelque action ou de quelque manifestation commune arrive, nous soyons pris au dépourvu. Parlez de ceci confidentiellement au baron de Bulow. Je n’ai pour mon compte aucune idée