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notre temps peut recueillir d’intéressans détails. Si j’avais aussi à raconter dans son ensemble le règne de Frédéric-Guillaume IV, je serais inexcusable de passer sous silence les événemens qui en signalèrent les débuts, les espérances libérales du pays, les discours mystiques du roi, l’effervescence publique croissant d’année en année et avec elle un malentendu toujours plus grave entre le peuple et le souverain. Ce n’est pas le but qu’on s’est proposé ici ; un sujet plus nouveau nous appelle, sujet assez désintéressé en apparence, mais singulièrement dramatique par la passion que le roi de Prusse y a portée. Il s’agit des affaires de Suisse en 1847 et de la part que Frédéric-Guillaume IV a été obligé d’y prendre comme prince de Neufchatel et comte de Valengin.

On sait par quelle suite de circonstances un des grands souverains de l’Europe possédait encore à cette époque une principauté enclavée au milieu des cantons de la Suisse et faisant partie de la confédération helvétique. Une principauté partie intégrante d’une république ! un canton républicain gouverné par un prince ! Le principe de ces contradictions qui semblent mettre deux mandes en présence est bien antérieur à 1789. Ce qu’il y a ici de plus surprenant, c’est qu’une telle anomalie, déjà si étrange avant la révolution, ait pu encore lui survivre. Elle devint même, comme on va le voir, beaucoup plus extraordinaire que par le passé. Pendant les guerres de la république et de l’empire, la bizarrerie même de la situation politique de Neufchatel lui avait fourni un moyen de se soustraire à des alternatives menaçantes ; profitant de son caractère à double face, le canton-principauté sut échapper quelque temps au péril de prendre parti pour la France contre la coalition ou pour la coalition contre la France. Cette habileté de conduite ne l’empêcha point toutefois de subir la loi du vainqueur d’Iéna ; la Prusse en 1806 dut céder à Napoléon la principauté de Neufchatel. Il est vrai qu’elle l’a reprise en 1814, et ce fut alors que la principauté, après avoir été jusqu’en 1806 un canton libre allié à un certain nombre d’autres cantons, fit complètement partie de la confédération helvétique. Voilà comment une des plus curieuses irrégularités de l’ancienne Europe se trouva consacrée et aggravée par les traités qui organisèrent l’Europe nouvelle.

Est-il besoin de dire que cette irrégularité ne choquait en rien l’esprit de Frédéric-Guillaume IV ? L’ami de M. de Bunsen, si amoureux du moyen âge, voyait là une sorte de fragment des temps féodaux qui se tenait debout au milieu d’une société démocratique. Le spectacle assurément n’était pas fait pour lui déplaire. C’était comme une application visible de ses doctrines, une pièce justificative de l’école historique, comme l’appellent les Allemands, c’est-à-dire de l’école qui recommande les