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répondez. Le roi seul tient encore à vous, il a défendu de vous compromettre. Si on le fait, ce sera contre sa volonté, par une sorte d’escamotage, au moyen d’allusions dont les termes auront été perfidement choisis, de manière que le roi n’y trouve rien de compromettant pour vous. Je vous dis cela après y avoir bien réfléchi. Et maintenant adieu. Que Dieu vous conduise vers nous, et encore et toujours encore vers nous,

« Le Seigneur soit avec toutes vos actions. A vous de cœur dévoué,

« FREDERIC-GUILLAUME. »


Bunsen ne pouvait plus rester à Rome. Pie VII, Léon XII, Pie VIII, l’avaient traité avec une bienveillance particulière ; Grégoire XVI fit savoir à la cour de Prusse qu’il ne pourrait plus avoir de relations avec lui. Aucune explication, aucune justification, dit avec tristesse la veuve du diplomate, ne put triompher des défiances irritées du souverain pontife. Bunsen partit donc, on se figure aisément avec quels regrets. Il y avait vingt-deux ans qu’il habitait la ville éternelle ; c’est là qu’il s’était marié, qu’il avait travaillé avec Niebuhr, qu’il était devenu l’ami du prince Frédéric-Guillaume. Pendant vingt-deux ans, il avait été, selon l’expression d’Ampère, « non-seulement un des représentans de la Prusse auprès du saint-siège, mais l’ambassadeur de la science allemande auprès de l’antiquité. » Le jour où il quitta sa maison du Capitole, le 29 avril 1838, une foule d’amis, de voyageurs, de jeunes savans, accoutumés à trouver chez lui les encouragemens et les lumières, entourait sa voiture. Les adieux furent simples et touchans. On raconte qu’il dit en souriant à sa femme ; « Nous allons nous chercher ailleurs un autre Capitole. » Deux ans après, son ami devenait roi de Prusse, et l’année suivante, au mois d’avril 1841, il était chargé de le représenter à Londres auprès de la reine Victoria.


II

On a vu naître et grandir l’amitié du roi Frédéric-Guillaume IV et de M. de Bunsen ; nous allons assister maintenant à leurs dissentimens sur un certain nombre de questions capitales. Si j’avais à raconter ici toute la carrière diplomatique de Bunsen, les six premières années qu’il a passées à Londres comme ambassadeur du roi de Prusse m’offriraient plus d’un curieux épisode. Les lettres l’assemblées par sa veuve présentent un tableau animé de la société anglaise. Le voyage du roi de Prusse à Londres au mois de janvier 1842, la fondation de l’évêché prussien, de Jérusalem, les relations de Bunsen avec les hommes d’état, les savans, les théologiens de l’Angleterre, forment une série d’épisodes où l’histoire de