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Cette violence, qui souleva l’Europe, et qui fut même si vertement blâmée par les protestans évangéliques du royaume de Prusse, rendait les négociations impossibles. Le pape déclara qu’il n’accepterait aucune discussion tant que l’archevêque ne serait pas replacé sur son siège. Chargé de débrouiller à Rome une affaire si gravement compromise à Berlin, M. de Bunsen y employa un esprit de conciliation que les circonstances, ne comportaient plus. Il déplut à tout le monde : la chancellerie romaine l’accusait de duplicité, la bureaucratie berlinoise l’accusait de trahison. Seul, le prince royal soutint énergiquement son ami envers et contre tous. Il était désolé de la mesure dont l’archevêque de Cologne avait été victime ; cette brutalité le blessait dans ses convictions les plus chères, car il avait imaginé tout un système d’après lequel il voulait faire vivre l’église et l’état indépendans et respectueux l’un de l’autre au sein d’une bienfaisante union. Persuadé que Bunsen avait agi dans le même esprit, lui reprochant tout au plus certaine inexpérience de conduite et quelques maladresses de langage, il le défendait auprès du roi au risque de paraître ami plus fidèle que sujet dévoué, il le défendait surtout contre les faiseurs du ministère. Voilà un terme bien irrévérencieux appliqué aux ministres prussiens ; hâtons-nous de prévenir que nous l’empruntons au prince royal de Prusse. Et qu’on ne dise pas que nous avons pu l’exagérer en le traduisant ; nous n’avons pas eu à le traduire, le prince s’est servi lui-même de l’expression française afin de lui laisser toute sa force. Il est vrai que ces irrévérences se trouvent dans une missive toute secrète, et, comme dit le prince, condamnée au feu. On doit donc des remercîmens à l’empereur d’Allemagne qui, en confiant à M. Léopold de Ranke la publication de ces curieuses lettres, n’a pas fait d’exception pour celle-ci. La sentence de mort n’a pas été exécutée, nous profitons de ce bénéfice sans trop de souci pour les faiseurs, Voici un extrait de la lettre du prince :


« Je n’ai pas besoin de vous dire que ces lignes, tracées dans l’esprit le plus strictement confidentiel et par suite avec une franchise sans ménagement, sont condamnées à périr de la mort des hérétiques. Vous les brûlerez, et le plus tôt sera le mieux. — A mon avis, la façon dont a été conduite ici l’affaire de Rome et de Cologne est si mauvaise, si misérable, si dépourvue de réflexion et de sens, qu’on ne saurait rien imaginer de pire. Hélas ! s’il n’y avait que cela, je pourrais encore me consoler (avec une forte dose de légèreté, il est vrai) en pensant que he ne pouvais rien attendre, et qu’en réalité je n’attendais rien autre chose de nos faiseurs. Mais le roi, cher ami, vous avait donné ses pleins pouvoirs, et en vous les donnant il sentait bien qu’il autorisait chez nous les meilleures espérances. Voilà ce qui m’enlève toute consolation. Ce