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était Anglaise ; elle a donné, à la manière anglaise, une ample biographie de son mari tirée de ses papiers de famille, où abondent les pièces de tout genre, lettres, rapports, documens officiels et confidences intimes[1]. Quelques années après, un écrivain allemand a traduit ces Mémoires et les a enrichis de documens nouveaux[2]. Grâce à la correspondance mise au jour par M. Léopold de Ranke, rien ne manque plus au dossier. On peut dire en effet que ce livre est le complément indispensable de la biographie de Bunsen. Frédéric-Guillaume IV tient certainement une grande place dans les mémoires de son ami ; sa figure ne pouvait pas y apparaître aussi vive, aussi originale, aussi passionnée que dans les lettres tracées de sa main. Les convenances n’avaient pas permis à Bunsen de donner ces lettres du roi à côté des siennes ; il lui était même interdit d’en indiquer les vivacités, j’allais dire les violences. On voyait dans les Mémoires certaines émotions poignantes de l’ami du roi, on ne connaissait pas les paroles qui les avaient produites. Les voici dans le texte même, voici les demandes et les réponses, chacun peut suivre tous les incidens du dialogue. La personne du roi et celle du ministre, un peu effacées jusqu’ici sur la scène politique, prennent tout à coup dans ces disputes secrètes un relief extraordinaire. Écoutons-les parler, et, puisque nous entrons dans un monde qui n’est pas le nôtre, résignons-nous à entendre plus d’une fois un cruel langage. Il n’est pas inutile de découvrir à nu, même chez les meilleurs, chez les plus nobles représentans de l’Allemagne, les sentimens de haine qui, persistant après un demi-siècle malgré la transformation de toutes choses, ont préparé nos catastrophes.

La correspondance de Frédéric-Guillaume IV avec Bunsen embrasse des sujets très divers. Elle commence en 1830 ; Frédéric-Guillaume n’était encore que le prince royal de Prusse, et c’est seulement dix années plus tard qu’il devait monter sur le trône. La dernière lettre, datée du mois de septembre 1857, a été écrite pressa la veille de la maladie qui l’a obligé de confier la régence à son frère. Parmi tant de sujets qui ont occupé les deux amis, il convient de choisir les plus importans, ceux qui ont fait éclater leurs dissentimens ; leurs contradictions, leurs colères, sans jamais nuire à leur amitié, — ceux-là aussi qui nous permettent de voir le

  1. A Memoir of baron Bunsen, late minister plenipoientiary and envoy extraordinary of his Majesty Frédéric William IV at the court of Saint James, drawn chiefty from family papers by his widow, Francess baroness Bunsen, in two volumes, London 1868.
  2. Christian Carli Josias Freiherr von Bunsen, aus seinen Briefen und nach eigener Erinnerung geschildert von seiner Wittwe. Deutsche Ausgabe, durch neue Mittheilungen vermehrt von Friedrich Nippold, 3 vol. In-8° ; Leipzig 1868-1871.