révolution, frappant aux portes de son palais, lui offrait la couronne d’un nouvel empire. Les lettres qui viennent d’être mises au jour modifient singulièrement ce portrait. Artiste, savant, chrétien, Frédéric-Guillaume était tout cela ; il n’avait garde pourtant de se perdre dans ses rêves. Ce chimérique appréciait très nettement les choses réelles. La révolution de 1848, qui l’a si fort tourmenté, ne l’a point surpris. Sur ce point et sur d’autres, ses lettres nous fournissent les preuves d’une clairvoyance singulière. Quant à cette passion de l’unité, qui agite l’Allemagne entière depuis plus de soixante ans et dont nos politiques n’ont jamais voulu tenir compte, il la ressentait à sa manière aussi vivement que personne, n’ayant de scrupules qu’au sujet des voies et moyens.
On sait aussi quelle a été, dans l’histoire intellectuelle de notre siècle, la physionomie du baron de Bunsen. Comme historien et théologien, il a marqué sa place au premier rang. Disciple et collaborateur de Niebuhr, il est devenu maître à son tour dans la science profane comme dans la science sacrée. Soit par les découvertes qui demeurent attachées à son nom, soit par les discussions fécondes qu’il a provoquées, il a éclairé des périodes importantes du christianisme primitif. On a de lui une Philosophie de l’histoire que l’Allemagne n’a pas craint de comparer à la fois aux Pensées de Pascal et au Cosmos d’Alexandre de Humboldt, — aux Pensées de Pascal parce qu’elle renferme une apologie du christianisme aussi neuve que hardie, au Cosmos de Humboldt parce que l’auteur y déroule un large tableau du cosmos intellectuel et moral. Enfin son grand ouvrage sur la Bible est un monument de science et de foi qui semble défier les assauts de l’exégèse contentieuse. On connaissait les services que M. de Bunsen a rendus à la science, on connaissait aussi le rôle qu’il a joué dans la politique ; on n’ignorait pas que, lié d’amitié avec Frédéric-Guillaume IV, il avait été, en face de M. Stahl et des conseillers absolutistes du souverain, le conseiller ardemment libéral, on se rappelait que, pendant de longues années, ambassadeur du roi de Prusse auprès de la reine d’Angleterre, il avait presque toujours soutenu les causes auxquelles s’intéressaient les puissances occidentales de l’Europe. Ce que nous n’avons pas su jusqu’en ces derniers temps, c’est que cet esprit si mesuré avait servi avec une passion impétueuse le dessein de livrer l’Allemagne aux Hohenzollern, c’est que cet esprit si libéral avait gardé contre la France toutes les haines de 1813.
Ces lettres, si intéressantes pour l’Allemagne, le sont plus encore pour nous par les révélations qu’elles nous apportent. Il ne suffirait pas toutefois de lire isolément le curieux volume de M. Léopold de Ranke ; il faut le rapprocher des Mémoires de Bunsen ou plutôt de la vie de l’illustre diplomate racontée par sa veuve. Mme de Bunsen