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ciété qui l’a émise n’est pas déjà en faillite, et c’est ce qui arrive souvent. On n’y a pas pris garde, les abus se sont multipliés et aggravés au point de peser sur le pays de la manière la plus dangereuse. C’est là le mal réel et profond devant lequel se trouve M. Minghetti, qui, avec la présidence du conseil, a gardé le ministère des finances ; c’est aussi vraisemblablement une de ses préoccupations. Pourra-t-il réagir sérieusement contre ce mal ? Dans tous les cas, le nouveau ministère a sans doute maintenant devant lui ces quelques mois de vacances pendant lesquels il pourra étudier les moyens d’atténuer tout au moins des difficultés qui sont beaucoup plus de l’ordre financier que de l’ordre politique.

Politique ou finances, l’Espagne a pour le moment le triste privilège de réunir sous ce double rapport toutes les misères, et l’été ; qui est un temps de repos ou une trêve pour d’autres, est pour elle la saison d’une anarchie croissante, d’une guerre civile qui ne fait que se développer. La désorganisation de toute force militaire est arrivée à ce point qu’on ne peut plus envoyer un bataillon sans s’exposer à le voir se débander, se révolter contre ses chefs ou devenir la proie des carlistes. Dans le nord, le général Nouvilas, qui ne faisait rien et ne pouvait rien faire, a fini par se retirer, et on ne trouve pas même un général pour le remplacer. En Catalogne, ces jours derniers, l’infant don, Alphonse, frère de don Carlos, qui commande ce qu’on appelle les troupes royales, et son lieutenant Saballs ont enveloppé et pris une colonne d’un millier d’hommes avec ses quelques canons et son matériel. Le chef de cette colonne, le brigadier Cabrinetty, a été tué. Pendant ce temps, à Malaga, des bandes révolutionnaires assassinent l’alcade et d’autres autorités, À Alcoy, dans la province de Valence, mêmes excès, mêmes massacres. À Madrid, le gouvernement se débat contre l’impossible, et, pour ajouter à la confusion, un certain nombre de députés, quarante ou cinquante, du radicalisme le plus exalté, se sont retirés de l’assemblée en menaçant d’aller prendre les armes dans les provinces. Encore quelques jours, le gouvernement n’aura plus un soldat, et en fait de moyens financiers il en est réduit à offrir le matériel de guerre en gage. Que les chefs du parti républicain aient pu se faire d’abord quelques illusions, on a pu le comprendre jusqu’à un certain point, quoique ces illusions fussent bien étranges. Désormais commence pour eux lai plus terrible responsabilité, car ils placent l’Espagne entre la plus profonde anarchie où un pays puisse tomber et la victoire des carlistes, qu’ils préparent. Cette victoire pourrait encore être détournée sans doute ; mais pour cela il faudrait alors renoncer à une chimère ruineuse qui conduit le pays à une véritable dissolution. Il faudrait avoir le courage de faire un appel désespéré à toutes les forces conservatrices, de rallier tout ce qui a compté dans le parti libéral, généraux ou hommes politiques, et de dégager au moins de cette vaste confusion les dernières garanties d’un ré-