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se multiplier autour de lui. Tant que la question était pour ainsi dire flagrante et dominait tout, il n’avait pas de peine à contenir les oppositions ou les dissidences ; aujourd’hui il n’a plus aussi aisément raison des adversaires qu’il s’est créés. Par sa politique dans les affaires religieuses, il a mis contre lui non-seulement les catholiques, mais encore beaucoup de protestans qui le trouvent par trop révolutionnaire, et qui voudraient l’arrêter dans cette voie ; par ses fantaisies féodales toujours promptes à renaître quand il est contrarié, il a froissé plus d’une fois les nationaux-libéraux, dont une fraction prend vis-à-vis de lui une certaine attitude d’indépendance. À la cour même, malgré le prix que l’empereur Guillaume attache naturellement à ses services, il rencontre des hostilités, des rivalités d’influence qui sont peut-être souvent le secret de ses irritations, qui lui rendent assez incommode cette omnipotence qu’il a paru exercer jusqu’ici, à laquelle il a semblé aussi quelquefois vouloir se dérober en partant pour Varzin. Est-ce par un mouvement d’ennui devant les difficultés de cette situation qu’il veut diminuer ce fardeau du pouvoir dont il est resté chargé pendant de si longues années ? Toujours est-il que depuis quelque temps il se démet successivement de quelques-unes de ses fonctions. Il y a quelques mois, il quittait la présidence du cabinet prussien, qui est passée au général de Roon ; le voilà quittant aujourd’hui le ministère des affaires étrangères de Prusse, où le représentant de l’Allemagne à Bruxelles, M. de Balan, est appelé comme secrétaire d’état avec rang de ministre. M. de Bismarck reste toujours chancelier de l’empire sans doute, et l’autorité du chancelier prime celle du cabinet prussien. On peut se demander toutefois si, en se renfermant ainsi dans ses hautes fonctions, il agit bien volontairement, s’il cède uniquement à des préoccupations de santé, ou s’il n’est pas obligé de faire une certaine part à des influences rivales. Serait-ce véritablement une, crise dans la fortune de M. de Bismarck ? Serait-ce le signe d’un changement, sinon dans la politique générale de l’Allemagne, du moins dans la politique intérieure de la Prusse ? M, de Bismarck, tout retiré qu’il soit aujourd’hui à Varzin, n’en est point pour sûr à céder si aisément le terrain, et dans tous les cas au moindre incident le chancelier retrouverait bien vite une influence qui est loin d’être épuisée.

Le ministère italien a vécu assez pour mener à bonne fin, pour promulguer la loi sur les corporations religieuses, qui était la plus sérieuse, la plus pressante question du moment ; il n’a pas été assez fort pour faire triompher ses projets financiers et pour doubler heureusement le cap de la fin de la session. L’ébranlement qu’il a éprouvé une première fois, il y a quelques semaines, n’a été que le prélude de la crise définitive où il vient de succomber, quoiqu’il crût pouvoir compter sur la majorité qui l’avait vivement pressé le mois dernier de rester au pou-