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être le dessin; à vrai dire, il ne s’en inquiète pas, bien qu’il décrive sans cesse. Aussi ne voit-il jamais et ne fait-il jamais voir les objets. Ses descriptions sont des manières d’hymnes à la vie, et tout lui est prétexte à enthousiasme. Au marché, les pyramides de fruits le ravissent. Il entend les odeurs des fromages chanter des symphonies. Les tas de poissons amoncelés lui arrachent des larmes d’admiration; il les compte tous, les soles, les bards, les anguilles, les plus inconnus comme les plus fameux, et chacun d’eux lui fournit une strophe dans cette ode qu’il entonne religieusement, A de certains momens, cette folie est telle qu’elle aboutit à des étonnemens enfantins devant les objets les plus vulgaires. Que dire des descriptions de la Curée? Les teintes de la chair, les rondeurs ou les maigreurs des épaules nues, le bruissement des étoffes, les soupers où le lustre flamboie et enveloppe comme d’une parure de diamans les tables chargées de cristaux, tout est sujet d’exercice pour ce style savant en débauches. On ressent à cette lecture l’impression de je ne sais quel panthéisme parisien, et sans cesse les descriptions, soupers ou étalages, salons ou boutiques, aboutissent à des comparaisons sensuelles qui révoltent. Jamais un mot qui parte de l’âme n’atteste la présence d’une pensée. Le verbe et le substantif, ces mots sévères, ces muscles et ces os de la phrase, sont bannis, ou plutôt perdus dans la surabondance des adjectifs. Toute la littérature maladive des vingt dernières années a laissé sa trace dans ce style, et après quinze pages d’une pareille lecture on éprouve le besoin réel de relire quelque auteur du temps où la langue française était encore cette gueuse fière dont Voltaire a si bien parlé. — M. Zola du reste nous avait avertis. Il est philosophe et matérialiste. A ses yeux, la vertu et le vice sont des produits physiologiques d’accidens nerveux et sanguins. Nous ne nous arrêterons pas à relever pour les discuter des assertions dont l’apparence scientifique n’impose plus qu’aux ignorans, et nous rechercherons tout de suite comment M. Zola conçoit et exécute les caractères.

S’il ne s’agissait que de M. Zola, un seul mot suffirait. Tous ses héros se rampent en deux classes : les uns, Saccard, Renée, Maxime, sont des misérables, hideux d’impureté ou de cupidité, — les autres, Sylvère et Florent, des enfans malades qui marchent dans un rêve, et s’attendrissent sans cesse sur des idées fausses. Malheureusement la théorie vient de plus haut, elle séduit beaucoup d’esprits superficiels, et vaut la peine qu’on en indique le péril. Que le lecteur réfléchisse un moment sur la définition d’un caractère; il n’en trouvera pas de meilleure que celle-ci : la marque imprimée en nous par la lente succession des habitudes. Qui comprend la théorie de l’habitude comprend celle du caractère, qui se trompe sur l’une se trompe sur l’autre. Or c’est un fait acquis aujourd’hui à la psychologie la plus élémentaire qu’un double courant d’habitudes se crée en nous : les unes, passives, viennent tout entières des