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REVUE LITTERAIRE

LE ROMAN REALISTE ET LE ROMAN PIETISTE.

Chaque génération littéraire choisit une forme entre toutes, appropriée au génie de l’époque, et la cultive avec plus de soin et plus de succès. Il est certain que le roman a été cette forme pour la France du XIXe siècle. C’était là un genre presque nouveau, plus ouvert et plus riche que la comédie, plus apte à se plier aux émotions comme aux philosophies personnelles, où la poésie lyrique trouvait place, et place aussi l’histoire. Pour ces raisons et d’autres encore, le roman fat à la mode. Les politiques aussi bien que les critiques et les poètes payèrent leur tribut à la divinité du jour, et cette vogue correspondait si exactement à l’esprit du temps qu’elle dure encore après quarante années. Une critique sérieuse des romans contemporains est donc plus qu’une simple étude de littérature, car, s’il est vrai de dire que notre goût relève de nos mœurs et les reproduit, de même et plus profondément encore les tendances des auteurs connus expriment les vices et les vertus qui élèvent ou abaissent la nation tout entière.

Les romanciers nouveaux, par suite du succès même de leurs prédécesseurs, ont un lourd héritage à porter. Parmi les maîtres aujourd’hui silencieux ou disparus, lesquels continueront-ils? L’antithèse éternelle qui se dresse devant toute œuvre de création humaine, l’antithèse de l’idée et de la matière, de l’âme et du corps, de la personne libre et du monde soumis au lois nécessaires, n’a pas été sans laisser sa trace dans le domaine de la fiction romanesque. De quel côté se rangeront les jeunes écrivains? Envelopperont-ils une thèse dans leur drame, ou bien étudieront-ils l’homme pour l’homme, indifférens au blâme ou à l’éloge, curieux uniquement de composer un chapitre de psychologie? Se détacheront-ils des souffrances publiques pour jouir de beaux rêves, ou bien