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ont su définir à la fois les droits des patrons en regard de ceux des ouvriers, et en même temps les droits plus délicats et plus difficilement saisissables des ouvriers entre eux. Ici encore le temps et l’étude ont apporté de grandes améliorations à la première ébauche, et l’on peut suivre, dans le cours du siècle, le parlement se rectifiant et se complétant lui-même dans cette œuvre d’émancipation.

Les premières retouches ne datent pourtant que de 1859, c’est-à-dire après une expérience de trente-cinq ans. Il s’agit alors de s’accorder sur un détail qui dans le cours des grèves donnait lieu à des interprétations variables. La loi de 1824 détendait aux ouvriers en grève de molester ou d’entraver dans leurs travaux les camarades qui ne voulaient pas se joindre à eux. Que fallait-il entendre par ces mots? La loi de 1859 les définit et les restreint de la manière suivante : « les sollicitations pacifiques et raisonnables ayant pour but de persuader à d’autres, sans aucune menace ni intimidation directe ou indirecte, sont déclarées légales. » En 1867, nouvelle difficulté d’interprétation à propos d’une grève de tailleurs. Cette fois la difficulté concerne des ouvriers et des maîtres. De part et d’autre, il est question d’une mise à l’index; pour les ouvriers, c’est l’équivalent de ce que notre code nomme des damnations, et ce que les Anglais désignent par le picketing et le rattening, ce qui veut dire les cordons de surveillance établis autour des ateliers des patrons ou le vol des outils commis au préjudice des ouvriers qui se refusent à entrer dans une grève; pour les patrons, c’est l’usage des black list, des listes noires qui impliquent un refus de travail pour les ouvriers qui y figurent. Dans ce conflit, ce n’est pas la loi, c’est la jurisprudence qui en a décidé; dans les deux cas, au banc de la reine et aux assises, elle a donné gain de cause aux patrons. Enfin le 29 juin 1871, le même jour où fut voté le bill qui donna aux trades-unions (unions de métiers) une existence légale, survint un autre bill qui en était comme la garantie. Le parlement sentit en effet qu’en reconnaissant officiellement ces puissantes organisations il convenait d’assurer une protection plus efficace aux individus isolés qui refusent de s’y associer. Des exemples nombreux tendaient à établir qu’il y avait lieu de les protéger sérieusement contre la pression morale de leurs camarades. Tel est l’objet de ce bill, où les menaces, les violences, le rattening, le picketing, sont définis de la manière la plus précise et punis de façon à en prévenir le retour.