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ni la bonne renommée, ne manquaient donc à ce groupe de dix milita ouvriers, quand il a rompu avec ses patrons et mis en interdit pendant près d’un mois leurs forges et leurs hauts-fourneaux. Il est vrai que le salaire n’était qu’un prétexte et le déguisement d’un grief religieux, l’expulsion des jésuites, très influens et très populaires dans les provinces du Rhin.

Ainsi, en pleine veine de succès, l’Allemagne reconstituée comme empire s’est heurtée au même écueil que les grands et les petits états qui, dans les deux mondes, ont un rang en industrie. Comment a-t-elle porté ce souci, traité cet embarras, pris parti entre des prétentions difficilement conciliables? Dans les cas ordinaires, par des moyens plus évasifs que positifs, empruntés au régime prussien, des moyens de police, — dans les cas graves, par l’instrument du règne, la raison d’état. Il y a bien encore, dans les portions récemment unies à l’empire, quelques règlemens particuliers, des usages, des traditions, des tolérances locales, mais qui d’un jour à l’autre tendent à s’effacer sous le grand rouleau compresseur que la Prusse promène de frontière en frontière. Le nivellement définitif s’achèvera par les écoles et les casernes, qui tendent à supprimer de la vie d’un homme ce qu’elle a de facultatif pour y multiplier ce qu’elle a d’obligatoire. Suivons en effet le Prussien, en d’autres termes l’Allemand, et voyons jusqu’à quel point il s’appartient. A six ou sept ans, de gré ou de force, l’école le prend, et ne le lâche plus qu’à quinze. A peine a-t-il respiré librement pendant un petit nombre d’années, qu’un second engrenage le saisit, c’est le service dans l’armée. Ce service comporte pour l’individu quelques facilités d’option; mais il ne le conduira pas moins de l’armée active à la réserve, et de la réserve aux diverses catégories de la landwehr et de la landsturm. Les années s’écoulant, les noms et les uniformes changent, mais à tout degré l’assujettissement persiste; l’Allemand arrive ainsi presqu’aux confins de la vie, toujours dans les mains de l’état et debout au premier roulement du tambour.

Que ces habitudes constituent un progrès dans la marche des civilisations, c’est très contestable; mais la question n’est pas là. Il s’agit des ouvriers et des agitations d’ouvriers en vue d’obtenir de meilleurs salaires. Or il n’est indifférent ni pour les patrons, en butte à es querelles d’intérêt, ni pour les gouvernemens, obligés parfois d’y intervenir, que les ouvriers aient, pendant de longues années, appris à obéir en d’autres circonstances et pour d’autres motifs, qu’ils se soient formés à la rude école de la discipline. La preuve est acquise qu’avec ces élémens et dans ces conditions les grèves sont plus courtes, plus inoffensives, et qu’elles cèdent en