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propriétés de la pondre noire; on ne peut deviner ce qu’elle serait devenue, si ce développement eût eu pour point de départ une matière explosive telle que le fulmi-coton par exemple. Telle qu’elle est, elle a tout avantage à s’en tenir, pour les canons à grande puissance, aux poudres lentes à gros grains, qui permettent d’obtenir des effets balistiques étendus et réguliers avec des réactions relativement faibles contre les pièces et les culasses. Depuis le temps où « le traict d’un canon chargé de pouldre est de mille et cinq cents pas ou environ, » nous avons décuplé la portée des bouches à feu : on a fait des canons qui portent à 10 kilomètres et au-delà. Le poids des projectiles des plus gros calibres de la marine est vraiment respectable : le canon de 32 centimètres récemment adopté par la marine française pèse 35 tonnes et lance des boulets de 350 kilogrammes; le projectile du canon monstre de Krupp en pesait 500, et on peut, avec une charge convenable, imprimer à ces énormes masses des vitesses de 300 à 400 mètres. Les cuirasses des navires ne résistent point à de pareils moyens d’attaque. Des murailles de 80 centimètres en bois de chêne, revêtues de plaques en fer forgé d’une épaisseur de 15 centimètres, seraient traversées à la distance de 10 kilomètres par le boulet du canon de 32 centimètres, et à 500 mètres ce boulet perce des plaques de 35 centimètres d’épaisseur. Malheureusement, à mesure qu’on accroît la portée et les effets de pénétration, il faut aussi augmenter la résistance et par suite le poids des bouches à feu; les plus gros calibres cessent d’être portatifs, et ne servent qu’à la défense des côtes ou des places de guerre; enfin le prix de chaque coup devient excessif : il y a là une limite où il faut s’arrêter. Il ne s’agit plus ici d’accroître la force de l’agent d’explosion; mais l’on peut chercher à obtenir une poudre moins chère. Les choses se présentent autrement lorsqu’on réfléchit que l’emploi des cuirasses changera la tactique navale, et qu’il faudra revenir au principe des brûlots, en suppléant les bordées de boulets par des bâtimens-torpilles, des avisos armés de cônes explosifs, des engins destructeurs qui attaqueront l’ennemi à bout portant, tandis que les vaines démonstrations où l’on gaspille des projectiles « ne font trembler, comme on l’a dit, que le ministre des finances. » Pour de tels usages, la dynamite et ses analogues prendront peut-être une importance capitale. Il en sera de même dans le domaine du génie civil, où ces formidables moyens d’action, qui déplacent les rochers et renversent tout obstacle, promettent des économies de temps et de travail qu’on eût à peine rêvées autrefois.


FERNAND PAPILLON.