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sous les flots mouvans des moissons, prennent en hiver une teinte de profonde tristesse; les perspectives sont généralement monotones, et les larges horizons ne s’ouvrent qu’aux approches de la mer. Cette terre d’un si vulgaire aspect porte en elle tous les élémens de la richesse. Elle n’a point la houille, qu’on a vainement cherchée sous les couches crayeuses de ses collines, mais elle a en plus grande quantité qu’aucune autre région de la France la tourbe, qui donne en moyenne par année 1,500,000 quintaux métriques. Elle n’a point le fer, mais elle a toutes les cultures du nord, les céréales d’hiver et de printemps, les plantes fourragères, de nombreux pâturages, le lin, le chanvre, le colza, le pavot, la navette, de magnifiques cultures maraîchères aux abords des villes; elle a la betterave, cette source inépuisable de richesse, qui alimente de nombreuses sucreries, et dont les palpes fournissent une abondante nourriture aux bêtes à cornes[1]. Elle n’a point la vigne, mais elle a le houblon, et, comme la Normandie, qu’elle égale par quelques-uns de ses crus, le pommier, qui lui donne le cidre, cette fraîche et piquante boisson que Charlemagne préférait à la bière des Francs, si l’on en juge par les instructions qu’il adressait aux ciceratores chargés de la préparer dans ses domaines. L’industrie n’est pas moins productive que l’agriculture. Le Santerre fabrique chaque année 200,000 douzaines de bas de laine et une foule d’autres objets de bonneterie. Amiens et son arrondissement sont connus dans tout le monde commercial pour les velours, les satins; des filatures de lin, des ateliers de serrurerie, de corderie, de toiles à matelas, de tapis, de linge ouvré, des teintureries, des huileries, la pêche côtière font vivre, dans l’arrondissement d’Abbeville, une nombreuse population ouvrière et maritime, et la mer, plusieurs lignes de chemin de fer, un canal intérieur, une magnifique viabilité, favorisent l’activité de la production par la facilité des transports. On peut donc dire, comme les gens du pays, que le département de la Somme est un bon département ; placé dans d’excellentes conditions économiques entre les deux plus grands centres attractifs de l’Europe, Paris et Londres, il est habité par une population robuste et laborieuse qui produit plus qu’elle ne consomme, et chez laquelle le sentiment de l’ordre et de l’épargne est très développé. Cette population ne brille ni par le sentiment des arts, ni par l’imagination; elle est loin d’avoir, au même degré que les Normands, le génie des affaires; mais elle est pleine de bon sens, honnête et

  1. Il faut connaître les départemens du nord pour se faire une idée de l’influence que la betterave exercé sur la production de la viande. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple, l’arrondissement de Cambrai, qui nourrissait à peine 700 bœufs avant l’introduction de cette précieuse racine, en nourrit aujourd’hui 11,000.