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Londres, voulant essayer la force explosive de ce liquide, en fit détoner une goutte avec un marteau à plusieurs mètres de distance d’un vase qui en contenait une quantité beaucoup plus forte. L’ébranlement de l’air se communiqua au vase, dont tout le contenu fit explosion. Le laboratoire vola en éclats, et on ne retrouva pas de vestige du malheureux préparateur. Presque à la même époque, deux voitures, dont chacune était attelée d’un cheval et conduite par deux hommes, transportaient de la nitroglycérine dans des carrières d’ardoises aux environs de Carnavon, en Angleterre. Une détonation survint, qui anéantit tout, voitures, hommes, chevaux. On trouva la route creusée de deux cratères larges et profonds de plusieurs mètres. Un jour du mois de juin 1868, il arriva aux carrières de MM. Zaman, à Quenast, village situé à quelques lieues de Bruxelles, une voiture chargée de 2,000 kilogrammes de nitroglycérine. Les propriétaires gardaient ce produit dans un vaste magasin élevé de deux étages, où ils renfermaient les approvisionnemens destinés à leur exploitation. Les chevaux étaient dételés, deux ouvriers étaient occupés à décharger les paniers renfermant les bonbonnes avec l’assistance des artilleurs de l’escorte, lorsqu’une effroyable détonation se fit entendre, qui ébranla le sol à trois lieues de distance. L’air fut traversé par un souffle furieux qui tordit les arbres et les dépouilla de leurs feuilles, faucha les moissons sur une grande étendue; les maisons à la ronde furent secouées dans leurs fondemens, les toitures volèrent en éclats : du grand magasin, il ne resta que des briques. Lorsqu’on put approcher du lieu de l’explosion, il n’y avait plus trace du chariot ni des personnes qui l’entouraient un instant auparavant. A leur place, un gouffre béant; à 50 mètres de là, les corps des deux chevaux, transpercés de barres de fer, les orbites vides de leurs yeux. Un tailleur, qui demeurait à 200 mètres environ de l’endroit où l’accident eut lieu, déclara qu’il n’avait rien entendu ni senti; seulement lui et toute sa famille se sont retrouvés, une fois revenus à la vie, dans la cave de la maison sans savoir comment ils y avaient été précipités. Le lendemain, il fut procédé à une enquête, et on donna la sépulture à des débris humains recueillis dans un panier.

La terrible tendance de la nitroglycérine à se décomposer et la difficulté presque invincible de la manier sans danger auraient engagé les ingénieurs à y renoncer tout à fait, si l’on n’avait découvert récemment un moyen de supprimer tous ces inconvéniens; Ce moyen fort simple, imaginé en 1867 par M. Nobel, consiste à mélanger la nitroglycérine avec une matière inerte absorbant facilement le liquide. La préparation ainsi obtenue conserve l’énergie explosive de la nitroglycérine sans en garder l’extrême instabilité.