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à leurs adversaires. Non-seulement la faiblesse des effets obtenus, le peu de sûreté du tir et le danger de l’emploi des armes nouvelles les discréditaient, mais on en a longtemps considéré l’usage comme peu chevaleresque, pour ne pas dire déloyal. Que nous sommes loin de ces temps ! À la fin du XVIe siècle, les armes à feu ne sont point encore définitivement acceptées. Écoutons Montaigne, qui écrit vers 1580 : « Sauf l’estonnement des aureilles, à quoy désormais chascun est apprivoisé, ie crois que c’est une arme de fort peu d’effect, et espère que nous en quitterons un iour l’usage. » Dans l’armée anglaise, on rencontre encore des archers en 1627, au siège de l’île de Ré, et les écrivains déplorent comme un symptôme de décadence l’emploi de plus en plus général des armes à feu. Cependant l’artillerie se perfectionne peu à peu, et l’on tire aussi parti de la poudre pour faire sauter les remparts : au siège de Belgrade, en 1441, on fit jouer les fourneaux de mines avec beaucoup de succès.

On vit s’établir dans tous les pays des moulins à poudre de construction diverse, qui se mettaient à fabriquer la poudre de guerre sur une vaste échelle pour les besoins des gouvernemens. À l’origine, le mélange de salpêtre, de soufre et de charbon était employé à l’état de poussier, quel que fût l’usage auquel on le destinait ; on fut plus d’un siècle à découvrir l’utilité du grenage. Alors on eut des grains de toutes les grosseurs, des grumeaux gros comme des noisettes, comme des pois, comme des lentilles, comme des grains de chanvre. Aujourd’hui les grains de la poudre à canon ordinaire mesurent en moyenne 2 millimètres, ceux de la poudre à mousquet 1 millimètre ; mais pour les canons de très fort calibre on se sert de poudres beaucoup plus grossières. Les grains des poudres belges de Wetteren et ceux de la poudre anglaise dite poudre pebble (poudre-caillou) ont une épaisseur moyenne de 15 millimètres ; la poudre prismatique russe se compose de prismes hexagones de 25 millimètres de hauteur et de 40 millimètres de diamètre transversal, percés de petits canaux pour faciliter l’inflammation ; chacun de ces prismes pèse 40 grammes. Le dosage des ingrédiens a beaucoup varié dans les premiers temps : on essaya toutes les proportions ; cependant on ne tarda pas à revenir au dosage qui a été reconnu dès le XVIe siècle comme le plus avantageux, six, as et as, c’est-à-dire 6 parties de salpêtre pour 1 de soufre et 1 de charbon. C’est la proportion encore adoptée en France pour la poudre de guerre ; la poudre de mine renferme 6 de salpêtre, 2 de soufre et 2 de charbon.

Comme le pain, la poudre est devenue un objet de fabrication courante dont la recette n’a guère changé depuis des siècles. Pour-