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être lancées sur l’ennemi et à brûler ses abris. Dans l’Inde, où des efflorescences de salpêtre couvrent les plaines voisines des rivières, cette substance a servi de temps immémorial à composer des feux volans; les Arabes, élèves de leurs voisins, l’appelaient neige de l’Inde. Les Arabes aussi bien que les Grecs du bas-empire ont fait un usage considérable des projectiles incendiaires, qu’ils lançaient avec des machines de guerre, et le sire de Joinville, dans son Histoire de saint Lovys, rapporte que l’armée des croisés en eut fort à souffrir.

Dès le XIIe siècle, l’Occident connaît les propriétés du mélange formé de salpêtre, de soufre et de charbon; de vieux manuscrits qui datent de cette époque renferment des recettes pour composer la poudre de guerre à peu près dans les proportions usitées encore aujourd’hui. Marcus Græcus en indique divers emplois dans son Livre des feux, dont la Bibliothèque nationale possède deux copies; il semble prouvé que cet auteur vivait avant le IXe siècle, mais la rédaction du Liber ignium ne remonte pas probablement au-delà du XIIe siècle. On y trouve la manière de fabriquer une fusée (tunica ad volandum) ou un pétard (tunica tonitrum faciens), une recette pour composer le feu grégeois, et d’autres moyens « de combattre l’ennemi par le feu tant sur mer que sur terre. » Roger Bacon donne la composition de la poudre en déguisant à moitié la formule sous un anagramme cabalistique ; il dit que ce mélange produit beaucoup de lumière avec un horrible fracas, et qu’il permet de détruire une ville et une armée entière.

La poudre n’est d’abord utilisée que pour tirer des feux d’artifice ou pour allumer des incendies; on la tasse dans des tubes à feu munis de mèches, qui sont lancés comme des traits au moyen des arbalètes. Bientôt elle fera elle-même office de ressort dans des mortiers, bombardes et veuglaires qui vomiront des pierres et des boulets d’airain. Dans la première moitié du XIVe siècle, l’usage des armes à feu de petit calibre se généralise peu à peu. « Naguère encore, écrit Pétrarque, cette peste était rare; maintenant elle est aussi commune que n’importe quel genre d’armes. » Les grosses bouches à feu commencent aussi dès lors à remplacer les anciennes machines de guerre qui envoyaient des projectiles dans les villes assiégées. Toutefois ce serait une erreur de croire que la découverte des propriétés balistiques de la poudre produisit immédiatement une révolution dans l’art de la guerre.

Les premiers essais de la grosse artillerie n’avaient donné que des résultats médiocres; il restait encore bien des choses à trouver pour compléter cette invention. Les bombardes causaient d’abord plus de frayeur à ceux qui les tiraient qu’elles ne faisaient de mal