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LES NOUVELLES
MATIÈRES EXPLOSIVES


I.

L’homme a toujours été ambitieux au-delà de ses moyens : il n’y a aucune proportion entre nos aspirations et nos organes. La nature nous a fait les bras trop courts et les reins trop faibles au gré de nos désirs. Ces titans qui soulèvent des montagnes et qui escaladent le ciel, ces dieux et déesses qui accomplissent des miracles, Mars qui terrasse les ennemis, Iris qui porte des messages rapides comme l’éclair, tant d’autres mythes poétiques n’attestent-ils pas l’ancienneté d’espérances à peine réalisées de nos jours? Quand le Prométhée d’Eschyle, s’insurgeant contre les décrets de Jupiter, énumère tout ce que l’art humain a tiré du sein de la nature, et oppose au maître de l’Olympe « ce géant indomptable qui trouvera un feu plus puissant que la foudre, des éclats plus retentissans que les éclats du tonnerre, et qui brisera le trident de Neptune, » il semble entrevoir à travers le voile de l’avenir les merveilleuses conquêtes dont nous sommes fiers.

Condenser, concentrer la force dans un engin qui nous grandit à la taille d’un géant ou d’un dieu, enfermer la mort dans une arme terrible qui peut l’envoyer au loin dans le camp ennemi, emprisonner l’énergie mécanique dans un outil qui nous permettra de faire œuvre d’athlète, voilà les rêves des inventeurs depuis Archimède jusqu’à Albert le Grand, et jusqu’aux modernes « abstracteurs de quintessence » qui pèsent les atomes et les groupent en combinaisons redoutables. On peut suivre la trace de ces idées en remontant aux temps les plus reculés, où le merveilleux se mêle à la réalité et rend tous les récits obscurs et suspects. Ce qui est certain, c’est que l’antiquité connaissait des matières inflammables destinées à